Laurence Butet-Roch est canadienne. En 2010, elle intègre la rédaction de Polka magazine à Paris. Là, elle découvre la production photo internationale et se rend compte de l’image déformée que nous avons du Canada. Quatre ans plus tard, elle décide de rentrer au Canada avec des projets photos bien précis : développer la diffusion des photographes canadiens à l’étranger, mais aussi dans leur propre pays. Elle nous explique pourquoi.
Portrait de Laurence Butet-Roch par Chloë Ellingson
► ► ► Cet article fait partie du dossier : Le Canada sans les clichés
OAI13 : Tu es Canadienne. Qu’est-ce qui t’as mené en France ?
Laurence Butet-Roch : J’ai gagné un concours du Mois de la Photo à Montréal. L’année où j’ai participé, le prix consistait en un voyage à Perpignan pour le festival Visa pour l’Image. J’ai demandé à rester trois mois en France afin de découvrir le milieu de la photo français. Perpignan a été comme un coup de pied au cul. Je me suis rendu compte du nombre de gens qui évoluait dans ce milieu, de la qualité de la production photographique internationale. Alors, après le festival, j’ai cherché un peu de travail et j’ai cogné à la porte de Polka magazine. Ils cherchaient une stagiaire et j’ai été choisie.
À quoi ton expérience à Polka et en France t’as sensibilisée ?
Passer quatre ans dans un magazine photo à voir une grande partie de la production photo internationale a formé mon regard. Mais ça m’a aussi permis de me rendre compte de certains manques.
Comme quoi ?
Et bien par exemple, j’ai découvert que l’image du Canada à l’étranger est très loin de la réalité. Pour le reste du monde, le Canada est un pays de grands espaces naturels, habité de gens connectés à la nature, accueillants et pacifistes. Pourtant, nous sommes dirigés par un gouvernement conservateur depuis près d’une décennie. L’économie et la défense sont devenues des priorités par rapport à la protection de l’environnement. Peu de gens, à l’international, en sont conscients.
Image d’ouverture d’un dossier sur le Canada publié dans le National Geographic de février 2014
Quels sont tes repères photojournalistiques au Canada ?
Il y a la fois de très bonnes initiatives et des réalités qui me mettent vraiment en colère. D’un côté nous avons des organismes très novateurs comme l’ONF (Office National du Film). Et de l’autre, de nombreux quotidiens nationaux n’ont pas de directeurs photo, ce qui se ressent dans les publications. D’un côté, nous avons des projets exceptionnels qui se montent, comme le GDP project (une plateforme web de projets audiovisuels sur l’impact de la crise au Canada). Et de l’autre, le grand manque de communication autour de ce projet exceptionnel a pour conséquence d’en anéantir la visibilité. Mais, je suis optimiste, nous avons des festivals comme Contact ou Zoom, des fondations comme Magenta, et des journaux comme la Presse + et le Globe and Mail qui ont des politiques photo intéressantes.
Aujourd’hui, tu te réinstalles au Canada. Quelles sont les priorités photo selon toi ?
Je crois qu’il est essentiel de développer la culture visuelle au sein du Canada. Je suis toujours contente de faire connaître des photographes canadiens à l’étranger, mais je pense aussi qu’il est aussi important de développer la diffusion des photographes canadiens dans leur propre pays. L’éducation à l’image peut nous aider à comprendre notre propre histoire. Les communautés autochtones, par exemple, ont été largement photographiées et de façon très diverses. Si ces images étaient montrées aux Canadiens, elles soulèveraient énormément de questions, encore très taboues.. Le Canada a eu une politique d’assimilation et d’intégration terrible pour les Premières Nations. Jusqu’en 1996, les enfants amérindiens étaient envoyés dans des pensionnats où on leur apprenait à être « blanc ». Et ça, c’est seulement une des nombreuses politiques qui visait à détruire cette culture. On en parle très peu. Et ces non-dits continuent d’avoir des conséquences désastreuses sur les populations autochtones. C’est une question qui est aussi très liées aux problématiques environnementales. Le développement économique du pays est largement lié à l’exploitation de ressources naturelles. Les Premières Nations sont souvent celles qui interviennent dans les débats publics pour la sauvegarde des espaces naturels. Elles sont donc dépeintes comme des opposants au développement économique alors qu’elles essaient simplement de nous prévenir des dangers d’une surexploitation des matières premières.
La réserve autochtone d’Aamjiwnaang est entourée par plus d’une quarantaine d’usines pétrochimiques. © Laurence Butet-Roch
Mckay, jeune Anishinabee © Laurence Butet-Roch
Pourquoi est-ce que tu es rentrée au Canada ?
Un jour, j’ai vu une affiche qui détournait une illustration de propagande issue de la première guerre mondiale. Elle montrait une petite fille assise sur les genoux de son père qui lui demande « Daddy, what did you do to fight Harper » (Stephen Harper est notre Premier Ministre). Je suis totalement opposée à ses politiques. Cette affiche m’a fait réfléchir: qu’est-ce que je fais pour combattre Harper? Je me suis rendue compte qu’à part voter, je ne m’impliquais pas plus que ça. J’ai donc pensé à ce que je pouvais faire concrètement. Je crois qu’en participant à la diffusion de sujets photos controversés mais bien réels, je peux pousser les Canadiens à avoir envie de changement.
Site internet de Laurence Butet-Roch : lbrphoto.ca
[…] Cet article fait partie du dossier de la semaine du 09.02.15 : Le Canada sans les clichés Laurence Butet-Roch est canadienne. En 2010, elle intègre la rédaction de Polka magazine à Paris. […]
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