D’un côté, grâce à la touchante spontanéité de notre ministre de la culture, l’autorisation enfin accordée de photographier au Musée d’Orsay (un peu en retard sur ce coup-là, par rapport à d’autres institutions). De l’autre, l’avalanche de selfies et de photos-gags convenues devant les peintures. Pas facile d’être en même temps visiteur et photographe. Quel parti artistique tirer d’un sujet aussi limité ? Et que peut dire la photographie ainsi confrontée à la peinture ?
Une photo un peu de traviole avec un morceau de tête au premier plan, une autre pas très nette ni très bien éclairée : Fleur Pellerin n’avait pas de grandes ambitions artistiques quand elle a tweeté ses deux clichés de l’exposition Bonnard. C’est le propre d’une pratique photo peu investie : photographier pour communiquer instantanément ou garder une simple trace ne demande pas une maîtrise technique et une élaboration importantes. Pourtant, certains amateurs parviennent à associer cadrage et captation de l’instant avec tant de justesse qu’il devient difficile de les distinguer de photos réalisées par de grands noms.
Essayons de cerner le sujet : un musée de peintures, c’est-à-dire des salles, une architecture avec des volumes relativement neutres, destinés à assurer une circulation fluide et à mettre en valeur des images planes. Puis, des visiteurs. Une combinaison si simple qu’elle ne semble pas en mesure de nous mener très loin pour ce qui est de faire des photos riches et passionnantes. Mais une combinaison pourtant largement exploitée. Avec toujours une idée majeure, celle de la confrontation entre les œuvres et le public. Confrontation générant diverses formes de contraste : opposition comique dont est coutumier Elliott Erwitt, grandiose effet d’échelle chez le trop méconnu Fritz Henle.
Consonance ou dissonance entre les œuvres et les spectateurs créent ainsi différents registres qu’explore Max Hirshfeld à travers sa série Looking at looking. Echos formels, contraste entre les habits du présent et ceux du passé et même un effet de redoublement et une réflexion sur la reproduction de l’image très réussie sur la dernière photo présentée ici.
L’alternative est donc celle-ci : soit le monde de la peinture entre en relation avec celui du spectateur et alors, l’image se crée sur cette connivence ; soit les deux mondes sont irrémédiablement séparés. C’est cette deuxième direction que mettent en valeur les photos de Matthew Pillsbury, jouant sur l’opposition entre le statisme des tableaux (immobiles pour l’éternité) et le mouvement du public (frénésie d’un mouvement qui ne peut s’interrompre un instant, même face à l’éternité).
La subtilité consiste peut-être à éviter la confrontation directe et à aborder le sujet de la peinture littéralement de biais, comme le fait Gilbert Fastenaekens, désamorçant l’impact de l’image du musée (ici d’ailleurs, une photo et non un tableau). Répétitions de cadres à l’intérieur d’autres cadres : les spectateurs sont eux-mêmes cadrés et deviennent une photo.
Ou bien, donner à contempler la contemplation, dispositif qui est celui de Thomas Struth dans sa série Audience, réalisée à la Galerie de l’Académie à Florence. Posté à proximité du socle du David de Michel-Ange, l’appareil photo capte une variété d’attitudes et de regards qui nous comble de détails. Les spectateurs sont devenus le sujet de la photo, ils sont devenus l’oeuvre. Rendue possible grâce à de multiples flashes, la photo de Struth nous permet de mieux distinguer ce qui sépare l’approche amateur et professionnelle : l’utilisation de matériel et particulièrement du pied, interdit dans la grande majorité des musées.
Juste une question de matériel alors ? Non, bien sûr, le matériel ne sert pas à grand-chose s’il n’est pas soutenu par une idée. Et l’idée peut à son tour se passer de matériel élaboré : accompagné d’une équipe médicale, un patient en phase terminale se rend au Rijksmuseum pour admirer une dernière fois les tableaux de Rembrandt. Les couleurs du présent face à celles du passé, une lumière sublime (celle de la scénographie du Rijks), des regards presque tous absorbés par celui du maître. C’est un tweet tout simple, posté il y a quelques jours. Quelle émotion !
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