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La street photography : une pratique sans contraintes ?

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[box]Cet article fait partie du dossier de la semaine du 06.10.14 : L’insaisissable Street Photography[/box]

On attribue à la street photography l’idée d’une pratique libre, ouverte, sans contraintes : mais elle peut aussi s’exercer à l’intérieur d’un concept et d’un dispositif de prise de vue rigoureux. Deux exemples éloignés dans le temps :


Walker Evans : Labor Anonymous, 1946


En 1946, onze portraits d’inconnus réalisés par Walker Evans sont publiés sur une double page du magazine Fortune. Une rue de Detroit, un samedi après-midi ; le photographe se poste à un endroit précis avec son appareil moyen format et isole des individus du flux passager. Le cadrage est en légère contre-plongée, la lumière touche les personnages de face. Le dispositif est simple, efficace. L’intention du photographe se concentre sur l’humain sans jamais verser dans l’anecdotique ou l’instantanéité d’un mouvement. Walker Evans avait déjà expérimenté cette idée dans une série de portraits en pleine rue à Bridgeport en 1941, mais avec des cadrages plus flottants. L’idée culminera avec Many Are Called, en 1966, portraits d’inconnus photographiés dans le métro. Ici, la contrainte du dispositif élimine tout pittoresque et permet à Walker Evans de dresser le portrait d’une humanité en tout anonymat.



David Rosenfeld : Les Faux-Passants, 1997-1998


Instantané : dans une lumière crue, une jeune femme est photographié à l’instant où elle sort d’un bâtiment. Sa main droite s’appuie à l’angle du mur et les doigts se détachent sur l’ombre du porche. Son pied droit, la semelle relevée, va se poser au sol tandis que l’on ne sait pas très bien si son pied gauche est pris dans le mouvement de la descente de l’escalier (ce qui ne semble pas très naturel) ou s’il va shooter dans un caillou ou une boulette de papier (mais alors, son pied va percuter la première marche). Bref, un faux instantané. De fait, la série de David Rosenfeld s’intitule Les Faux-Passants et relève totalement de la mise en scène. Mais alors, pourquoi mettre en scène ce que Walker Evans, cinquante ans auparavant (et la référence est manifeste), avait capté naturellement ? Probablement par cette sorte de désenchantement post-moderne* qui dit que l’on ne croit plus que la photographie puisse capter naturellement les choses (et qui insinue même qu’elle n’en a jamais été capable, que toute photographie a toujours été une mise en scène).

Bien sûr, on est en droit de préférer la force simple et directe des images de Walker Evans à cette photographie qui se rejoue et s’interroge sur elle-même. Mais l’une comme l’autre sont à la recherche d’un moyen (dispositif ou mise en scène) qui parle de la même chose : la relation avec l’autre, l’inconnu.

* Le post-modernisme n’est pas un mouvement artistique mais plutôt une attitude esthétique. Un artiste post-moderne peut parfaitement créer des œuvres qui s’inscrivent dans la tradition, mais en la considérant de manière distancée, voire ironique (par exemple, les sculptures de Jeff Koons).