SHARE

Quand un écran noir fait exploser l’audimat : on n’a jamais autant parlé de TV5 qu’au lendemain du piratage de la chaîne par un groupe se réclamant de « l’Etat islamique », le 9 avril dernier. L’écran noir pourrait apparaître comme une sorte de degré zéro de l’image, un rien angoissant. Mais il peut aussi être une source de création pour des artistes bien décidés à s’aventurer aux frontières de la vision.



Capture d'écran France TV Info
Capture d’écran France TV Info


L’écran noir devient à la mode : une réponse judicieuse pour faire rupture et endiguer le flot des images. En janvier déjà, quelques heures avant que l’inscription « Je Suis Charlie » n’envahisse la Toile et l’espace public, de nombreux utilisateurs avaient choisi ce signe de deuil en page d’accueil ou comme simple message. En février, le journal Le Parisien, commentant la décision du gouvernement de modifier les normes de diffusion de la TNT titrait : « Télévision : menace d’écran noir pour 10 millions de postes en 2016 ». Et voilà qu’à nouveau, un écran noir agite le paysage médiatique, alors qu’il semblerait qu’on ait déjà oublié un autre écran noir : celui qui, en juin 2013, avait marqué la fermeture de la télévision publique grecque.



television-grece

Plus que les évènements qui en sont la cause, les analystes n’hésitent pas à associer la notion de traumatisme à cette apparition brutale de l’écran noir. Coupure, arrêt de la transmission ou défaillance technique, le spectateur s’angoisse. Il retrouve les gestes des grands ancêtres : secouer le téléviseur, le tapoter du plat de la main, bidouiller les prises. Mais rien ne vient. Signal brouillé. Paradoxalement, alors que l’écran noir est à lui seul le symbole absolu de la fin, l’utilisateur ne se pose qu’une unique question : quand cela va-t-il s’arrêter ? Autrement dit : quand cela va-t-il recommencer ?

Pourtant le noir ne saurait effrayer le photographe, familier de la chambre noire réservée au développement et au tirage argentiques. Rassuré aussi par les progrès techniques réalisés sur la sensibilité des capteur, lui permettant de photographier même au cœur de la nuit la plus sombre. De l’écran noir, il y a un parti à tirer. La possibilité de raviver un lien avec l’enfance. Eteignez la lumière, attendez sans bouger… Tu dors, lance une petite voix ? Alors, à partir du noir, tout un imaginaire se déploie. C’est celui que l’on retrouve dans les sous-titres de la série du photographe Eric Rondepierre, Opening Nights : des plans de coupe sur des photogrammes, avec un sous-titre évocateur.



Eric Rondepierre
Eric Rondepierre



Eric Rondepierre
Eric Rondepierre



Eric Rondepierre
Eric Rondepierre


Une photo minimale, quasi-conceptuelle, qui fait écho à l’œuvre de Joseph Kosuth, Nothing. Une définition du Rien pour combattre l’angoisse. Car il y a beaucoup à dire sur le néant.



Joseph Kosuth
Joseph Kosuth


En travaillant ainsi sur les champs de perception ouverts par l’écran noir, il devient possible de créer une chorégraphie en audiodescription, comme dans ce spectacle de la Compagnie Nicole Seiler. La danse et la gestuelle deviennent mentales, l’expérience commune partagée par les mots inscrit ses images mentales au cœur de chacun.



Cie Nicole Seiler, Description : Severine Skierski
Cie Nicole Seiler, Description : Severine Skierski



Cie Nicole Seiler – Amauros video3 from Nicole Seiler on Vimeo.


Switch : le moment où l’écran s’éteint, le moment où l’image s’abîme dans la lumière, se comprime jusqu’à devenir un point lumineux, nous dit le duo d’artistes Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet. Ce moment de persistance de l’image. Capturées en vidéo, ces traces rémanentes sont ensuite traduites en peintures acryliques sur toile. Le dernier instant avant le noir, comme une forme qui agonise, se tord sur elle-même, refusant de disparaître.



Jugnet / Clairet
Jugnet / Clairet



Jugnet / Clairet
Jugnet / Clairet


Vidéo à voir sur le site de l’artiste

Alors que, grâce à la technologie des écrans plasma par rapport au rétroéclairage du LCD, les écrans n’ont jamais été aussi noirs, nous restons des petits enfants, nous avons besoin d’une veilleuse. La preuve : lorsque j’ai demandé à un moteur de recherche de me dénicher un fond d’écran noir. Subodorant mon extrême radicalisme, il m’a aussitôt proposé « fond d’écran tout noir ». Auquel j’ai trouvé de magnifiques reflets bleu-vert. L’écran noir, d’accord, l’écran éteint, non.



Eric Rondepierre
Eric Rondepierre