Que les photos existent sous forme de fichier numérique ou sur un support argentique, il y a toujours un moment où les questions surgissent : quel est le format le plus adapté pour présenter ses photos ? Y a-t-il une sorte de format idéal ? Doit-on considérer que plus le tirage est grand, plus une photo sera mise en valeur ? Peut-on faire varier les formats dans un même accrochage ? La taille de l’oeuvre participe-t-elle à sa signification ? Autant de questions auxquelles le chroniqueur va essayer de répondre dans le format qui lui est imparti : 3 000 signes.
Pour apporter une réponse claire, il faut commencer par opérer une distinction simple entre deux façons de considérer une photographie : comme média ou comme médium. Média : la photo est un moyen de porter et de communiquer un contenu. Elle circule sous des formes diverses, s’échange, supporte des rendus différents, des recadrages, des mises en page qui modifient sa lecture. L’important est l’évènement qu’elle représente. On voit bien que se définit ainsi une certaine photo de reportage d’actualité. Sa taille est donc variable, adaptable au support ou aux circonstances. Ainsi, une même photo de James Nachtwey sera au format du magazine qui la publie ou bien pourra mesurer 150 x 100 cm pour une exposition monographique. Ici, voir en plus grand, c’est mieux voir, être plus « impacté » (comme disent les gens du marketing).
Exposition James Nachtwey à la bibliothèque de la Part-Dieu, Lyon, 2011
La question devient plus complexe si la photographie est considérée comme un médium, c’est-à-dire un moyen d’expression artistique qui l’inscrit dans le champ des arts plastiques. Le terme « photographie » pourra même disparaître au profit de « l’œuvre ». Mieux encore, pour désigner une ou plusieurs photographies répondant à un travail ou à un questionnement artistique, on dit aujourd’hui « une pièce ». Une façon de mettre l’accent sur la matérialité de l’objet artistique mais aussi sur le fait qu’il est une partie (pièce de puzzle) de l’ensemble de la recherche de l’artiste. Une telle approche change alors la conception de la photographie : elle devient un objet singulier, pensé selon un format qui répond à sa nature (miniature ou forme-tableau par exemple) et selon le rapport que ce format va établir avec le spectateur.
Prenons l’exemple de ce qu’on a appelé la forme-tableau, terme appliqué à certaines photographies des années 80 (celles de Jeff Wall ou d’Andreas Gursky) tirées en très grand format. On aurait tort de lire ce phénomène d’agrandissement comme un simple coup de force artificiel de la part de la photographie, pour concurrencer la monumentalité de la peinture. Une sorte d’anoblissement spontané de la photographie par la taille (rappelons que c’est dans ces années-là que la photographie entre dans le cercle des Beaux-Arts). Par-delà cette manière de s’inscrire dans l’histoire de l’art, les photographes instaurent alors ce qu’on appelle une esthétique descriptive : mettant l’accent sur la richesse de détails dont est capable la photographie, elle laisse au spectateur la liberté de naviguer dans la photo-tableau pour y créer un réseau de sens.
Jeff Wall, Restoration, 137 x 510 cm
Un autre exemple pour montrer que le format du tirage est intimement lié au sens de l’oeuvre : le changement d ‘échelle est devenu une pratique courante dans un art contemporain qui se réapproprie souvent des formes déjà existantes. Aux Rencontres d’Arles 2013, le photographe Erik Kessels présentait une exposition à partir de sa passion de collectionneur pour la photographie de famille. Des photos d’identité se trouvaient agrandies en gigantesques tirages que les spectateurs pouvaient librement manipuler. Ici, le changement d’échelle modifiait complètement la nature de l’image : échappant à tout rapport d’intimité, dégagée de la gangue d’invisibilité dans laquelle aurait dû la maintenir l’album familial, élue parmi tant d’autres.
Le format d’une photographie n’est donc pas une décision à prendre à la légère. Mais on ne dira pas pas pour autant qu’une photo ne doit être attachée qu’à un unique format. D’abord parce que l’artiste peut être amené à le penser différemment selon le lieu et la configuration d’exposition : un travail artistique doit savoir s’adapter au lieu dans lequel il est montré. Ensuite parce qu’on peut considérer chaque photo comme un élément de langage par rapport aux autres photos qui l’entourent. Avec les mêmes photos, on pourrait donc construire des ensembles différents qui justifieraient alors des tailles adaptées diversement. Enfin parce qu’il nous faut refuser tout dogmatisme : de fait, le chroniqueur n’a pas su respecter le format de 3000 signes.
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