Sans surprise, le mois dernier a vu l’annonce d’une énième plus grande photo du monde :
D’une définition de 365 gigapixels, associant plus de 70 000 clichés, blablabla… Quand il y a besoin de chiffres pour faire ressentir l’immensité, c’est que la photo est impuissante à la traduire. Comment faire ressentir l’échelle de ce qui est montré dans la photo ? Et qu’est-ce qui se rejoue à travers la taille du tirage ?
Quand j’étais petit, les encyclopédies montraient de chouettes images pour rendre perceptible l’échelle des choses : on empilait des silhouettes humaines à côté d’une Tour Eiffel ou on les alignait le long d’une baleine. L’enfant s’en trouvait tout impressionné. La photographie sous-marine s’étant révélée un peu compliquée au départ, on a préféré les éléphants.
Bon, ça nous parle peut-être surtout de la taille des éléphants, laquelle connaît des variations saisonnières. Ou alors, c’est le mannequin, Dovima, qui est très grande. Ca y est, on est déjà un peu perdus…
Par un procédé identique, les marqueurs d’échelles ont été utilisés dès les origines de la photo. Et les photographes accompagnant les premières missions archéologiques ne manquaient pas de positionner leurs guides et porteurs à côté des monuments. Sans ça, on aurait pu croire que le Sphinx de Gizeh avait la taille d’une statuette.
Aujourd’hui, la photo est toujours un document privilégié pour les fouilles archéologiques. Et des conventions ont été mises au point : dans chaque photo de vestiges découverts figure une échelle photographique.
Et au fil des progrès scientifiques, l’échelle n’a cessé d’être bouleversée par les avancées de la photo : dans la photo astronomique, la lune se rapprochait dangereusement tandis que la photo microscopique rendait visible la frénésie des spermatozoïdes. Le minuscule devenait géant.
Mais la question de l’échelle ne saurait se limiter à une juste appréhension de la taille de ce qui est représenté. Elle traite aussi et peut-être surtout du rapport qu’entretient le spectateur avec la taille de ce qu’il regarde : de la miniaturisation du réel à son amplification, les écarts sont plein de significations.
Plusieurs cas de figures existent :
Premier cas : la photo rétrécit le monde. Pendant longtemps, cela s’est présenté comme une évidence. les tirages ne dépassaient pas une certaine taille. Comme le fera la télévision plus tard, la photo condensait le réel, le miniaturisait. Effet rassurant : le réel a la taille d’un jouet. Incitation à l’observation : scruter, détailler (à la loupe parfois).
Deuxième cas : la photo s’agrandit et amplifie. Avec les premières grandes expositions, Film und Photo (1929), Road to Victory (1942), c’est d’abord le tirage qui grandit et la photo qui prend le format d’une affiche.
Il faut pourtant noter que la photo n’amplifie pas toujours ce qu’elle montre. Certes, un visage ou une main peuvent être énormément agrandis et dominer le spectateur. Mais ce qu’elle amplifie d’abord, c’est elle-même : les tirages de Gursky qui mesurent plusieurs mètres sont encore une miniaturisation du réel. Le processus d’agrandissement va continuer à enfler : aujourd’hui, se mettant dans les pas du street art, la photo prend des formats pharaoniques : le spectateur est dépassé, submergé par le visible. Méthodes empruntées à la propagande ou monumentalisation pour transcender le sujet ?
Autre possibilité : l’agrandissement peut aussi se révéler plus modeste lorsqu’il s’applique à de petits objets : le but est alors de nous faire pénétrer dans une intimité, à travers un effet de loupe qui crée un focus. En changeant la taille des objets, il leur attribue aune autre valeur (penser aussi aux mégots d’Irving Penn)
Enfin, l’échelle 1 : celle où la taille de la photo épouse exactement les dimensions de l’objet photographié. Accentuant ainsi l’adhérence entre la photo et le réel. Une simplicité apparente, comme un retour au document brut. Certains photographes y sont si attachés que leur conception de la photo ne saurait se concevoir à une autre échelle. Car pour eux, c’est quand la surface de la photo recouvre exactement son objet qu’elle exprime tout l’écart entre la photographie et ce qu’elle représente.
L’échelle de la photo dépend donc autant de ce qu’elle représente que de son support. Lesquels supports ne cessent d’osciller entre contraction et expansion. Au fait une phablette, c’est une petite tablette ou un gros smartphone ? Vite, une échelle archéologique !