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La photographie a-t-elle épuisé tous ses possibles ?

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Alors que l’usage de la retouche numérique questionne le statut de l’image photographique depuis quelques années, une tendance opposée apparaît : celle qui consiste à confronter la surface de la photo à des matières concrètes. Une nouvelle génération d’artistes travaille la photo à sa manière en la sculptant, l’incisant, la noyant. On croyait que la photographie contenait l’ensemble du réel, il semblerait que ce ne soit pas assez. La photo ne suffirait-elle plus ?

D’un côté, le mouvement de fond : celui d’une photographie qui, en devenant une image numérique, s’est détachée de son support matériel (la pellicule argentique) pour se dématérialiser et mieux se transmettre, circuler. De plus, avec les logiciels de retouche, l’image peut être retravaillée jusqu’à perdre tout lien avec son image d’origine. Pour certains puristes, la dématérialisation mène nécessairement à la dé-réalisation. Le terme de post-photographie commence alors à fleurir dans les médias : il désigne une photo si retravaillée (il serait plus juste de dire ré-interprétée) qu’elle devient un objet artistique à mi-chemin entre fiction et réalité.

De l’autre côté, une pratique artistique contemporaine qui consiste à renforcer la matérialité de la photographie, soit pour qu’elle prenne place à l’intérieur d’installations, soit pour en faire de véritables objets. Ainsi, des travaux récents de Patrick Tosani se présentent-ils sous la forme de maquettes tridimensionnelles intégrant ses paysages photographiques.



Patrick Tosani, Alignement #4,  2006, Courtesy galerie In Situ, Fabienne Leclerc, Paris — © ADAGP
Patrick Tosani, Alignement #4, 2006, Courtesy galerie In Situ, Fabienne Leclerc, Paris — © ADAGP


Que devient alors la photo ? Elle n’est plus perçue de la même façon : on pouvait la voir, à l’instar d’une peinture, comme une fenêtre ouverte sur le monde. Voilà qu’elle est liée à une forme qui n’est pas la sienne, qui la rend plus concrète (l’immeuble est réellement reproduit) tout en devenant moins facile à considérer comme une fenêtre ouverte sur le monde : elle n’est plus accrochée au mur mais posée au sol ; et son plan coïncide avec celui de la façade d’un immeuble miniature, précisément celui dont elle représente la destruction.


L’édition du Salon Paris Photo qui vient de s’achever a mis en valeur plusieurs artistes appartenant à une sorte de troisième voie qu’on pourrait qualifier de photographie concrète. Derrière leurs travaux, une même idée : ajouter ou retrancher de la matière à la surface de la photo.

Iris Hutegger est suisse. Elle aime les paysages de montagne. Elle les photographie pour obtenir de grands tirages en noir et blanc, sur lesquelles elle vient poser des fils de couleurs. Sa machine à coudre lui sert ainsi à dessiner des herbes ou de petites zones de végétation. Depuis quelques années, on a vu des artistes venir broder sur la photographie, transposant une pratique historiquement connotée (la broderie, artisanat féminin et minutieux) à un art mécanique (la photographie). Ici, plus que sur la collision entre deux pratiques hétérogènes, il s’agit de la recherche d’un effet réaliste introduisant des couleurs et une lumière d’une grande subtilité. C’est aussi une photo que l’oeil se plait à suivre, à toucher du regard.



Iris Hutegger , Paysage, 2009
Iris Hutegger , Paysage, 2009



Iris Hutegger , Montagne, 2008
Iris Hutegger , Montagne, 2008


Pedro Motta est brésilien. Il est sensible à tous les questionnements qui touchent à l’agriculture, à la terre et à l’exploitation des ressources. Dans la série Espaço Confinado, une terre rougeâtre, assurément celle des lieux photographiés, vient occuper l’espace inférieur du cadre et parfois même, monte à l’assaut de l’arbre de la photo. Métaphore efficace de l’assèchement des sols qui fait disparaître toute végétation. La série présentée à Paris Photo confrontait des photos de paysage en noir et blanc à des fragments charbonneux qui remplissaient l’espace entre la photo et la surface vitrée tout en disséminant une fine poussière sur l’image. La photo censée contenir tout le réel est ici recouverte par un réel encore plus réel.



Pedro Motta, Espaço Confinado, 2013
Pedro Motta, Espaço Confinado, 2013



Pedro Motta, Espaço Confinado, 2013
Pedro Motta, Espaço Confinado, 2013


Carla Cabanas est portugaise. Elle a assisté à la transformation du paysage urbain de la capitale lisboète. Intervenant sur des photos prises dans les années 50 par Judah Benoliel, elle incise l’émulsion photographique, laissant apparaître la couche inférieure, une sorte de plâtre griffé. Mais ici, l’artiste a inversé le processus de remodelage urbain : ce qu’elle a fait disparaître, ce sont les immeubles laissés intacts, ne préservant que les traces de la destruction. L’image creusée se révèle pour ce qu’elle est : un chantier. Le chantier d’un questionnement : celui de la réalité que préserve la photographie. Car série s’intitule paradoxalement : Ce qu’il reste de ce qui a été. Or ici, ce qu’il reste, ce que garde la photo, ce n’est plus seulement la trace de ce qui n’est plus, c’est la destruction elle-même.



Carla Cabanas,  2012
Carla Cabanas, 2012



Carla Cabanas,  2012
Carla Cabanas, 2012


Il y a d’autres façons d’affirmer que la photo ne suffit plus : des photos qui s’animent, de la peinture qui interagit avec la photo, etc… Mais cette photographie concrète, parce qu’elle contient une part d’artisanat, de gestes effectués par la main de l’artiste et non par l’ordinateur dessine un avenir surprenant pour le médium et nous prouve qu’il est loin d’avoir livré toutes ses possibilités.



par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué




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Bruno Dubreuil enseigne la photographie au centre Verdier (Paris Xe) depuis 2000. Il se pose beaucoup de questions sur la photographie et y répond dans OAI13.