Comme le miroir de la méchante sorcière de Blanche-Neige, la photographie peut parler. Et celui ou celle qui s’y mire cherche parfois des réponses que son image lui portera.
La photographie ne fait-elle que refléter le monde ? L’interrogation n’est pas nouvelle. Elle remonte même aux origines de la photo où deux grandes conceptions s’opposent. D’un coté, ceux qui considèrent que la photographie est le miroir du réel : elle n’en est qu’un enregistrement mécanique précis, froid et objectif (ce sont les tenants du daguerréotype). De l’autre, ceux qui pensent que la photographie interprète le monde, qu’elle n’est pas le simple résultat d’une machine à enregistrer mais une véritable opération artistique. Celle-ci se travaille comme un dessin, à travers le négatif et le tirage. L’anglais William Henry Fox Talbot, inventeur du talbotype (tirage sur papier alors que le daguerréotype est une épreuve sur métal), appuie bien cette idée puisque son livre (le premier livre de photographies, publié en 1844), s’intitule « The pencil of nature », le crayon de la nature.
Il y a longtemps que la photographie moderne ne pose plus la question dans ces termes. On pourrait même dire qu’elle travaille souvent à explorer l’ambiguité de cette notion de miroir. Comme un jeu de questions-réponses. Trois exemples.
Vous trouvez qu’on en fait un peu trop avec Vivian Maier et ses autoportraits ? Vous avez raison ! Combien plus intéressants sont les Self-Portraits de Lee Friedlander, série commencée en 1958. Les reflets dans les vitrines ne sont qu’une des directions choisies pour ces autoportraits (rétroviseurs et ombres sont aussi souvent utilisés). Ils permettent de prolonger les cadrages surchargés et chaotiques qui sont la marque des photos de Friedlander, créant des collisions fertiles entre les différents éléments de la photo. L’identité du Moi se trouve diffractée, mise en abyme à travers les multiples sollicitations visuelles de l’univers urbain.
Lee Friedlander
Le miroir est tout aussi instable dans la série de Dieter Appelt, La tache que produit le souffle sur le miroir (les douze images, rélisées en 1977, sont présentées au Rencontres d’Arles en ce moment). Pour Appelt, le miroir est bien la métaphore de la photographie elle-même, impuissante à saisir la vérité, ne serait-ce que celle d’une fraction de seconde, toujours dépassée par la vie est ses manifestations (le souffle, la buée). Insaisissable image de soi.
Les photos de Klansmen (membres du Ku Klux Klan, sinistre organisation xénophobe américaine) d’Andres Serrano ne sont pas des autoportraits et ne transitent pas par un miroir. Elles me semblent pourtant complètement entrer dans cette logique de la photographie comme miroir du réel. Toujours en ce moment, elles sont visibles à Avignon, dans l’expo-fleuve de la Collection Lambert qui a investi les cellules de la prison Sainte-Anne. Pourquoi alors invoquer le miroir à propos de ces photos ? Parce que ce qu’elles montrent, ce n’est pas un individu, mais une personne qui se dissimule derrière un costume. Un masque. La force de ces photos ne réside pas dans ce qu’elles nous montrent puisqu’il n’y a pas grand chose à voir : un morceau d’étoffe, un œil parfois. Leur force, c’est de suggérer l’instant où un klansman a du regarder son portrait ainsi masqué. L’instant où il s’est vu comme dans un miroir : incapable de regarder en face sa propre image, ses pensées et ses actes. Le miroir photographique reflète tout, même la face cachée.
Et pendant que la Reine demandait : Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle du royaume ?, savez-vous ce que faisait Blanche-Neige ? Un selfie avec Grincheux !
PS : la réponse à l’énigme posée dans la question de la semaine dernière est : L’île noire. Bonnes vacances !
[…] La photographie est-elle un miroir, mon beau miroir ? […]
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