Une photographie du dessinateur Jean Cabut dit Cabu. Il sourit, la tête penchée. A partir de ce portrait, le graffeur Juis réalise, sur un mur de Marseille, une fresque aux couleurs joyeuses signée Je suis Charlie. Le soir-même, sur les réseaux sociaux, circule la photo de la fresque, illuminée par des petites bougies votives déposées au pied du mur. La photo d’origine se transforme, devient image, avant de redevenir une photo d’actualité. C’est aujourd’hui le destin des images que de se transformer et s’adapter pour mieux circuler et se transmettre. Mais le sens de l’image se modifie-t-il au gré des supports ? Et le support qui accueille la photo ne pourrait-il pas être finalement plus important que la photo elle-même ?
Au cours des années 60, une nouvelle théorie de la communication apparait : « le message, c’est le médium », énoncée par le canadien Marshall McLuhan. Cette théorie affirme que le médium d’une information, son support, est plus important que l’information elle-même. Si important que, quelle que soit l’image proposée, notre rapport est avant tout celui que nous avons avec le médium. Appliqué au médium télévision, cela reviendrait à dire que le contenu de l’information est dominé par ce qui fait la spécificité de la télévision : la miniaturisation et le présent continu constitué par le direct.
D’une part, la télévision montre une image miniature du monde et le met ainsi à distance (un match de foot vu à la télé est plus proche d’une partie de foot sur Playstation que d’un match réel) ; d’autre part, le direct crée une attente en continu : ainsi, les longs plans fixes de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële vus la semaine dernière, comme une photographie dont on attendait qu’elle se trouve soudain animée par un panache de fumée ou l’agitation de petites silhouettes.
Mais qu’en est-il de la photographie, dont on dit qu’elle est elle-même un médium ? Il faut bien distinguer : ici, le mot médium renvoie plutôt à la pratique artistique et renvoie aux arts plastiques (la peinture, le cinéma sont des médiums) alors que dans la formule de McLuhan, il renvoie au média, c’est-à-dire à la notion de support.
Considérons le double portrait des deux frères meurtriers que nous avons vu à multiples reprises la semaine dernière. Il apparaît que notre rapport à ces photos va se modifier selon qu’on les voit sur le document d’identité pour lequel elles ont été prises ou considérablement agrandies pour être diffusées à la télévision lors d’un appel à témoin. Le contexte (l’avis de recherche), le changement d’échelle entraînant (pour l’une des deux) une mauvaise qualité de l’image, le simple fait même d’accoler les deux photos d’identité (doublant ainsi la menace), autant d’éléments qui modifient ce que pourrait nous inspirer des photographies d’identité parfaitement standard. A l’inverse, les mêmes images miniaturisées sur des écrans de téléphone exigus apparaitront comme difficilement lisibles et constitueront des documents peu fiables. Ira-t-on pourtant jusqu’à dire que le médium, c’est le message ? Peut-être pas, mais la rigueur nous oblige à considérer que, s’il s’agit bien de la même photo, sa nature (et ce qu’elle véhicule) change d’un support à l’autre. Une étude plus complète de la nature de l’image nous obligerait même à tenir compte des formes environnantes : publicités, autres photos s’il s’agit d’une publication magazine, titres, etc…
Il faut avouer qu’on s’y perd un peu : le médium (au sens média), est-ce l’écran de l’ordinateur ou le site sur lequel on consulte l’image ? En fait, les deux, puisque les deux déterminent les conditions dans lesquelles l’image va nous apparaître . Ce qui est intimement lié, c’est donc autant la qualité du matériel que celle du média qui diffuse l’image. Mais tous deux restent au service de l’image et de son contenu : ils sont susceptibles de bien les restituer ou de les altérer. Plus que jamais, il nous faut donc être attentifs aux conditions dans lesquelles les images nous parviennent.
par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué
[…] Une photographie du dessinateur Jean Cabut dit Cabu. Il sourit, la tête penchée. A partir de ce portrait, le graffeur Juis réalise, sur un mur de Marseille, une fresque aux couleurs joyeuses signée Je suis Charlie. Le soir-même, sur les réseaux sociaux, circule la photo de la fresque, illuminée par des petites bougies votives déposées au pied du mur. La photo d’origine se transforme, devient image, avant de redevenir une photo d’actualité. C’est aujourd’hui le destin des images que de se transformer et s’adapter pour mieux circuler et se transmettre. Mais le sens de l’image se modifie-t-il au gré des supports ? Et le support qui accueille la photo ne pourrait-il pas être finalement plus important que la photo elle-même ? […]
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