La photographie n’échappe pas à une forme de monumentalisation qui touche l’ensemble de l’art contemporain. D’où vient cette monumentalisation, quel est son contenu idéologique et que nous dit-elle de notre rapport à l’image ?
Pourquoi parler de monumentalisation à propos de photographie : dire que la photographie se transforme en monument, c’est d’abord souligner l’apparition d’oeuvres au format de plus en plus grand, de façon à imposer leur vision à la multitude. Une tendance qui se développe de plus en plus dans la photographie contemporaine. Comme un symptôme, l’exposition de JR au Panthéon, ouverte depuis début juin, monumentalise doublement : d’abord parce qu’elle présente 4 000 photographies de visages anonymes considérablement agrandies ; ensuite parce qu’elle les expose à l’intérieur du monument dédié aux Grands Hommes.
Nous sommes donc tous des monuments (Warhol l’affirmait déjà en 1968 : « Désormais, chacun aura droit à quinze minutes de célébrité mondiale. »). On constate aussi que les expositions présentent des tirages de plus en plus grands (exposition Depardon au Grand Palais). Mais cette tendance à la monumentalisation ne touche pas que la photographie. Elle est devenue un poncif de l’art contemporain (bébé de 6,5 m lors de l’exposition universelle de 2010 en Chine ou figures de cire hyperréalistes de l’australien Ron Mueck), et on la retrouve aussi dans le spectacle vivant : le week-end dernier, la compagnie Royale de Luxe rassemblait des milliers de Nantais pour photographier à bout de bras le défilé de ses marionnettes géantes.
Toutefois, cette inflation de la taille des tirages photographiques ne doit pas être confondue avec l’apparition de la forme-tableau au cours des années 80. Ce mouvement est certes déjà une forme de monumentalisation. Mais il est surtout une manière d’affirmer une spécificité de la photographie, (sa précision et son luxe de détails) afin de lui donner les moyens de rivaliser avec les très grands formats de la peinture d’histoire. Ainsi la photo de l’immeuble Paris, Gare Montparnasse d’Andreas Gursky mesure-t-elle 406 x 206 cm, ce qui après tout n’est que la moitié de certains tableaux de Charles le Brun, peintre favori de Louis XIV.
Aujourd’hui, la monumentalisation de la photographie semble répondre à d’autres besoins : d’abord et avant tout, une manière de créer l’évènement. Course au records (la plus grande photo du monde, la plus grande image panoramique, la plus grande mosaïque de photos), opérations de communication : la confusion entre art photographique et publicité est à son comble. L’art mural de JR semble trouver sa source dans les portraits géants de Zidane à Marseille.
La monumentalisation exalte aussi la performance artistique (comment réaliser techniquement une photo d’une telle taille ?) et le processus (pour l’œuvre de JR, plusieurs mois de prises de vue aux quatre coins du pays, 4 000 portraits). On a déjà parlé dans ces chroniques de l’importance de la notion de processus : il prend de plus en plus souvent le pas sur le contenu (l’art est participatif, il réside moins dans la réalisation finale que dans ce qui s’est fait pendant sa réalisation).
La monumentalisation pose aussi la question de l’échelle de ce qui est représenté. Certains photographes ont un rapport très investi à cette question de l’échelle. Ainsi, le fait de représenter à l’échelle 1, ce qui signifie que l’objet reproduit sur le tirage photographique a exactement la même taille que dans la vie réelle : une façon d’affirmer fortement que la photographie est le reflet exact de la réalité. Les photographies monumentales nous proposent une autre vision, celle d’une image titanesque, qui nous dépasse, sublime donc.
le plus grand sténopé du monde, photo Douglas McCulloh
En fait, la monumentalisation des photographies est peut-être avant tout une question d’idéologie. Premier objectif : que la photo soit vue de tous (mais aussi, être l’image qui s’imposera et recouvrira les autres images). Second objectif : que la photo nous domine par sa taille, nous écrase.
Omniprésence et domination : des régimes d’images qui ont plus à voir avec la propagande qu’avec l’art. A qui profite l’art des artistes-pharaons ?
par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué
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