Photos truquées, manipulées, mises en scène. Vraies-fausses vidéos diffusées sans authentification préalable. Le fake est partout, remettant en question la validité de l’image à porter le réel. Vieille rengaine : toute information est mise en doute, chaque image devient suspecte. Mais qui croyait encore que la photographie collait au réel ? Voilà longtemps que professionnels, artistes et amateurs ont compris la souplesse du médium et, loin des dogmes, préfèrent s’en amuser.
Dans quelques jours, un musée londonien proposera une étrange expérience à ses visiteurs. Parmi ses collections, il remplacera l’une de ses œuvres par une copie réalisée à bas prix et prétendument indécelable. Une action signée par l’artiste Doug Fishbone (à lire sur the Guardian). Pourquoi intégrer le faux au musée ? Non pour faire scandale, mais pour affiner le regard, affirment les conservateurs. Mais l’idée va plus loin : elle évoque l’action de copier, notion artistique si ambivalente. Surtout : elle pose la question de la valeur de l’oeuvre. Quelle valeur supplémentaire offre la vraie œuvre ? Le faux serait-il sans valeur ? Ne serait-il pas temps de réhabiliter le faux ?
Même si l’exigence de vérité propre au photojournalisme est évidente, le faux est au coeur du programme de la machine photographique. Ainsi, en octobre 1840, Hippolyte Bayard se représente-t-il en noyé dans ce qui est la première mise en scène de la photographie : la photo est accompagnée d’une légende accusant l’Académie d’avoir favorisé le brevet de Daguerre (plutôt que le sien), acculant l’auteur au suicide. Une année d’existence officielle de la photo a suffi pour la décoller de la réalité !
Et il ne s’agit pas seulement d’organiser le réel présenté devant l’objectif : l’illusion d’optique devient un des moteurs de la création photographique. Collision des plans et jeux d’échelle constitue une source inépuisable d’expérimentation.
C’est même devenu un genre photographique à part entière : le horsemaning (ou fake beheading : fausse décapitation). Décalé, ludique et à la portée de tous, il peut se pratiquer à la maison ou en vacances.
Il est en quelque sorte le pendant populaire de la tendance onirico-fantastique qui transforme la photo en illustration numérique, photographie qui demande des heures de travail sur son ordinateur.
Il faut d’ailleurs s’interroger sur le rapport de la photo avec une part d’enfance : le fameux effet maquette (Tilt-shift obtenu avec des objectifs à décentrement et bascule, ou bien avec un logiciel de retouche) ; les scènes en miniature utilisant des figurines et reprenant les flous à très faible profondeur de champ ; ou encore les lieux presque surréels qui sont en fait des décors reconstitués en papier et carton (Thomas Demand) ou en légos (Julian Faulhaber). Des jeux d’enfants ? Ou bien le retour à une conception artistique dans laquelle l’artiste et l’artisan (celui qui fabrique patiemment l’oeuvre) étaient confondus ?
Alors, tromper le spectateur, tromper l’information n’est pas qu’une affaire de propagande : la pratique photographique consiste d’abord à manipuler l’appareil, puis le réel, et enfin les images obtenues. Jeu ou mensonge ? Voilà qu’il faut des arbitres, des juges et des censeurs… Et que ce sont les spectateurs qui sont pris pour des enfants !