Jean-François Lepage est photographe de mode depuis les années 1980. Publié dans Marie-Claire, Vogue UK, GQ, Numéro, Wall Paper, il a développé un regard personnel en grattant et découpant ses pellicules. Aujourd’hui, il travaille de moins en moins pour les magazines de mode. Le mythe du photographe de mode rescapé de la crise, car bénéficiant de la richesse du milieu du luxe, est mort. Jean-François Lepage se concentre désormais sur ses productions personnelles plutôt que d’accepter de travailler quasi gratuitement.
© Jean-François Lepage
► ► ► Cet article fait partie du dossier : Mode et photographie
OAI13 : Comment êtes-vous devenu photographe ?
Jean-François Lepage : Je me suis intéressé à la photographie très jeune. J’avais 15 ans. J’ai demandé un appareil photo pour mon anniversaire, et c’est ainsi que ma passion pour la photo est née. J’ai eu la chance de pouvoir faire quelques stages en laboratoire quand j’étais adolescent. J’avais moi-même un labo noir et blanc chez moi. À l’âge de 20 ans, je suis devenu assistant pendant environ un an. Et après avoir assisté 4 ou 5 photographes différents, je me suis lancé.
OAI13 : Comment êtes-vous entré sur le marché du travail ?
Quand on est assistant, on rencontre beaucoup de gens : les directeurs artistiques, les coiffeurs, les maquilleurs, les stylistes. J’ai commencé modestement en faisant des portraits, des shootings de boutiques… Je n »ai pas fait de la mode tout de suite. Mais petit à petit, les rédactions m’ont fait confiance.
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« Notre profession est sinistrée »
OAI13 : Aujourd’hui, travaillez-vous plutôt pour les magazines ou pour la publicité ?
J’ai essentiellement travaillé pour des magazines. La problématique à laquelle je me confronte aujourd’hui, c’est que malgré la multiplication du nombre de magazines de mode, ces derniers ne payent presque plus, voire plus du tout. Notre profession est sinistrée.
OAI13 : Pourquoi les photographes continuent-ils de travailler pour les magazines de mode s’ils ne sont plus payés ?
Parce qu’être publié donne de la visibilité et que c’est une bonne carte de visite. La presse n’est plus qu’un support pour pouvoir faire un travail commercial qui lui, sera rémunéré.
« Faire un métier et ne pas être payé c’est très étrange »
OAI13 : C’est étrange comme évolution, non ?
Oui. Faire un métier et ne pas être payé c’est très étrange. Cela dit, ce phénomène n’est pas nouveau. Dès la fin des années 1980, certains magazines avaient sensiblement réduit le budget alloué aux productions photographiques. Ensuite, l’arrivée du numérique n’a fait qu’accentuer cette tendance jusqu’à ce que la crise de 2008 finisse par nous achever.
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OAI13 : Vous travaillez pour qui maintenant ?
Je refuse beaucoup de commandes pour me tourner vers le montage d’exposition. Je suis en pleine restructuration. Je travaillais pour différents journaux à l’international. Mais étant donné que je photographie encore en argentique et que de moins en moins de magazines sont prêts à payer pour ce genre de production, j’ai considérablement réduit le nombre de commandes auxquelles je réponds. Bien sûr, il y a encore des gens qui me permettent de produire, mais c’est de plus en plus difficile.
© Jean-François Lepage
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« Les vrais responsables de cette situation sont les acteurs de ce métier : les photographes et les agents »
OAI13 : À votre avis, est-ce que la diminution de l’investissement dans les shootings éditoriaux des magazines de mode va finir par préjudicier à ces supports ?
Non, je pense pas. Il y aura toujours des photographes pour travailler presque gratuitement. Les magazines font maintenant appel à des photographes qui sont bien installés commercialement ou à des jeunes photographes. Ce sont ces deux seules catégories qui acceptent encore de travailler sans rémunération. Les premiers n’ont pas besoin d’argent. Les seconds n’ont pas le choix.
En fait, les vrais responsables de cette situation ne sont pas uniquement les magazines, qui eux, comme tout entrepreneur, profitent de chaque situation qui peut faire économiser de l’argent. Les vrais responsables sont les acteurs de ce métier, les agents et les photographes, qui ne se sont pas battus pour garder des conditions de travail correct. Ils ont été faibles en acceptant la visibilité comme monnaie d’échange.
© Jean-François Lepage
Mise à jour du 23/01/14
Le 23 janvier 2014, suite à la publication de notre article, Jean-François Lepage a tenu à développer son propos sur son profil Facebook :
« Hier une petite interview de moi est parue sur le magazine blog ourageis13.com.
J’ai été un peu surpris du nombre de réactions et j’aimerais développer un peu plus le sujet, non pas que je sois tout à coup habité par un esprit militant exacerbé, je vous rassure, je suis comme la plupart des autres photographes, plutôt individualiste, mais bon je ne pense pas qu’à ma “pomme” quand même.
Ce que j’ai exprimé dans cette conversation n’est absolument pas nouveau, cela fait des années qu’il y a une dérive.
Que les magazines aient profité de l’évolution de la photographie et insisté progressivement afin que la plupart des photographes réalisent leurs prises de vue en numérique ne me choque pas particulièrement. Ils ont pu réduire de façon conséquente leurs coûts de production, tant mieux pour eux.
En revanche, que beaucoup de magazines considèrent comme acquis le fait de ne pas payer d’honoraires de prises de vue ou de droits d’auteur, cela me semble incroyable, et d’autant plus lorsque ces magazines sont établis depuis des années.
Oui. C’est incroyable que dans un Etat de droit, des catégories de personnes puissent ne pas être rémunérées lorsqu’elles travaillent. Je dis bien des catégories de personnes, car en ce qui concerne la photographie de mode, cela fait belle lurette que le travail éditorial des coiffeurs et des maquilleurs n’est plus rémunéré correctement et très souvent, pas du tout..
Bien sûr que les agents les plus influents ont leur part de responsabilité, car ils représentent souvent les photographes les plus demandés, ceux qui réalisent le plus de publicités.
Pourquoi ces agents et ces photographes ont-ils accepté cette situation ?
Parce qu’ils n’ont pas besoin de cet argent ? – Oui, tout simplement !
Mais quid des plus jeunes ? Ils n’ont pas le choix, car leurs ainés ont accepté l’inacceptable.
Le problème n’est pas de pointer du doigt les responsables. En fin de compte, nous sommes tous un peu responsables.
Nous avons laissé pourrir la situation au lieu de défendre nos droits par peur de perdre la visibilité de notre travail et favorisé un système ambigu basé sur le seul espoir de réaliser des prises de vues commerciales grâce à nos publications dans les magazines.
© Jean-François Lepage
Cela ne va pas changer la face du monde si, demain, les magazines payent à nouveau certaines catégories de personnes.
Mais faire preuve d’un peu de solidarité et se battre plutôt que de subir me semble être une option plus intéressante pour le futur et surtout pour nos enfants.
Donc s’il y a parmi vous quelqu’un qui connaît personnellement Michel Sapin, notre ministre du Travail, ou des personnes spécialisées dans le droit du travail, n’hésitez pas à leur faire un brin de causette à ce sujet parce que je pense que juridiquement, il y a matière.
Bises à tous mes amis coiffeurs, maquilleurs, stylistes, agents et photographes de tous les pays car cette situation n’a malheureusement pas de frontières ! »
© Jean-François Lepage
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[…] Le photographe de mode qui ne voulait plus travailler pour les magazines : La vente souffre dans tous les domaines et il n’existe pas une semaine ou je reçois des demande d’utilisation gratuite quand je ne constate un vol de photo. Ici Jean-François Lepage, photographe de mode explique pourquoi il ne vend plus de photos aux magazines pour se consacrer à des projets plus personnels. […]
Je suis entièrement d’accord avec J.F Lepage. Nous sommes de la même génération et j’éprouve les mêmes sentiments sur ce métier fantastique.
Etant portraitiste et travaillant pour les magazines et maisons de disques,et compagnies de danse, je suis confronté aux mêmes problèmes.
C’est un effet à ricochets, c’est devenu à la mode de ne pas payer.
Dommage, il y avait un joli château de cartes, mais il s’est écroulé.
Ce qui est terrible, c’est que parfois je me demande si les responsables en ont conscience.
La psychologie » tout pour ma pomme, après moi le déluge » me révolte.