Alain Fleischer est l’invité d’honneur de cette 11e édition du festival ManifestO, à Toulouse. Photographe, cinéaste, plasticien, écrivain, il est aussi le fondateur et le directeur du Studio national des arts contemporains du Fresnoy. Président du jury 2013 de ManifestO, il présente deux artistes du Fresnoy, David de Beyter avec « Concrete Mirrors » et Jean-René Lorand avec « Cube / Signalétique / Rémanences ». Il expose aussi, dans trois des conteneurs présents au Grand Rond, une rétrospective de son œuvre photographique.
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Explorateur d’images
Résumer le parcours d’Alain Fleischer n’est pas facile… Cinéaste (il a réalisé plus de 150 films), photographe, plasticien, écrivain, il cherche, expérimente, risque et a ceci d’extraordinaire qu’il nous entraîne, à travers ses œuvres, vers une constante réflexion à plusieurs niveaux, faisant se rejoindre avec une subtilité et une intelligence rares la forme et le propos. Des exemples parmi tant d’autres, son installation « Le regard de morts », présenté à la Maison de la photographie européenne en 2004 : des photographies de soldats disparus pendant la Première Guerre mondiale placées dans des bacs de révélateur, qui mettent le visiteur face à la mémoire et à sa disparition, « Ecrans sensibles » (performance qui consiste à révéler une image dissimulée dans un film projeté sur un écran recouvert de papier photo), « Autant en emporte le vent » (visage de femme projeté sur un ventilateur en marche)… Nombre des travaux d’Alain Fleischer sollicitent la lumière, les reflets, les accessoires, la projection, mais aussi la durée et le mouvement, impliquant le spectateur dans l’œuvre elle-même.
Catalogue
[pullquote type= »2″ align= »right »]Je suis convaincu que le livre est un mode de reproduction et de diffusion privilégié pour la photographie[/pullquote]
A Toulouse, Alain Fleischer a investi trois conteneurs du Grand Rond. L’un offre une œuvre réalisée spécialement pour le festival ManifestO. Elle montre des images dans des images : des personnes, dont on voit le visage de trois-quarts, tiennent des photographies issues du catalogue de la rétrospective d’Alain Fleischer à la Maison européenne de la photographie, il y a dix ans. Miroirs à répétition impliquant le regard du spectateur, elles emmènent à la contemplation d’une contemplation, induisant un double rapport au temps. Elles sont aussi un hommage au livre.
« Si une photographie est imprimée avec soin, une fidélité est préservée d’une nature différente de ce qui lorsqu’on reproduit un tableau de peinture. Comme avec la gravure, la photographie entretient une relation privilégiée à l’impression, à l’édition, au livre », énonce -t-il dans le texte de présentation.
Numérique
Autre conteneur, autre propos. Dans « Le jeu de la règle », Alain Fleischer déforme des terrains de sport, avec par exemple un cours de tennis ébranlé comme par des secousses telluriques – des manipulations réalisées avec les premiers appareils numériques, dans les années 1990. Au sens propre comme figuré, l’artiste brouille ici les pistes d’un monde régi par des règles strictes en y intégrant par exemple des menaces d’obstacles, des déviations à la fois dangereuses et tentantes. Il y interroge aussi, à sa manière, poétique, le devenir des images.
Cibachromes et jours heureux
Le dernier montre des tirages cibachrome issus d' »Exhibition », l’une des œuvres majeures de l’artiste, qu’il poursuit depuis plus de dix ans. Sur les murs d’une ville – Rome, Tokyo, Singapour… -, il a projeté des images de corps ou de visages, pornographiques, avant de réaliser la prise de vue. Troublantes, points d’oscillation entre le conscient et l’inconscient, ces images associent bien des mondes : la nuit urbaine, le fantasme partagé, l’image cinématographique… Comme des voiles, les photographies projetées se mêlent et imprègnent les murs, l’espace de nos vies, se posent en métaphores de l’espace public et privé, du dedans et du dehors. Et puis il y a « Happy Days », dispositifs dans lesquels des jouets mécaniques emmènent des miroirs reflétant des chefs d’œuvres de la peinture classique. Ludiques, posant et s’appropriant la question du cadre et du mouvement, associées à l’enfance, ces œuvres change notre regard sur nos références culturelles et soulèvent le carcan des catégories : ici se mêlent le jeu, la culture, la photographie, la projection, l’esthétique, la représentation du nu, thème récurrent chez Alain Fleischer.
Retours sur le passé
Dimanche matin 8 septembre était programmé, au cinéma Utopia de Tournefeuille, le film « Du côté de Vitebsk », réalisé lors d’un voyage en Biélorussie. On suit le trajet en train de Minsk à Vitebsk, ville natale de Marc Chagall, qui y créa une école d’art proche du Bauhaus, dont Malévitch prit ensuite la direction. Un voyage dans le temps, à la rencontre de la naissance d’un courant artistique, qui nous donne à humer l’atmosphère particulière de ce coin de terre balloté par l’histoire.
Samedi 14 septembre, dans le cadre de la Nuit de l’image, sera proposée la projection/installation « A la recherche de Stella », nouvelle version du travail présenté aux Rencontres d’Arles en 1995 : des visages de médaillons funéraires figurant sur les sépultures juives des cimetières italiens, parmi lesquels celui d’une certaine Stella Venezianer.
C’est une chance que d’avoir l’occasion de se confronter au travail d’Alain Fleischer, photographique ou cinématographique. Par sa recherche insatiable des passages entre les mondes, les techniques et les représentations, par son choix de photographes présentés, il ouvre avec bonheur notre curiosité, aiguise notre regard sur ce qui nous entoure et nous-mêmes, nous bouscule, en permanence et en beauté. Toulousains, festivaliers… Profitez-en !
A noter aussi : projection, le mercredi 25 septembre au cinéma Le Cratère à 19h, du long-métrage « Un monde agité », commande de la cinémathèque française.
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Happy days with Vélasquez, 1986, Alain Fleischer
Happy days with La Maja, 1986, Alain Fleischer
Écrans sensibles, Alain Fleischer
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