Non, nous n’allons pas à nouveau embrayer sur le soupçon qui pèse sur les photos retouchées ou le match entre documents amateurs et photojournalisme pro. Mais plutôt nous interroger sur la fameuse neutralité de la photo, sa prétendue objectivité. Y a-t-il, sur une photo, quelque chose qui puisse l’apparenter à une preuve formelle ? Et qu’y a-t-il d’autre (ou de plus) ?
La preuve par l’image : c’est autour de cette question que s’articule l’exposition « Images à charge » présentée au BAL jusqu’au 30 août. Indice, empreinte, constat, enregistrement : nous savons tous que la photo a longtemps été un médium indiscutable (ou peu remis en question). Aussi bien associé aux pratiques policières et judiciaires qu’à des démonstrations scientifiques. La photo montre la vérité telle qu’elle est ou a été.
C’est ce que vous pensez ? Alors commencez par la fin de l’exposition, asseyez-vous et regardez les dix minutes du film monté par Christian Delage. Un document indispensable qui traite des images des camps de concentration nazis et de leur utilisation comme preuve contre les dignitaires de ce même régime, au Procès de Nuremberg.
On y voit des images indiscutables, celles photographiées et filmées par une unité spéciale de l’armée américaine à la libération du camp de Dachau. Des documents qui répondent à un cahier des charges extrêmement précis : il décrit en détails les plans à obtenir, les mouvements de caméra, et anticipe sur les émotions que devront véhiculer les images. Bien sûr, toutes les images produites sont authentiques et non mises en scène. Mais elles ne sont pas neutres. Elles ont pour mission de rendre compte d’une réalité atroce, tout en générant des sentiments et des émotions. Leur utilisation pendant le procès, le 29 novembre 1945, constitue un fait sans précédent dans l’histoire judiciaire : un film accablant est présenté comme preuve d’accusation. Double mise en scène : celle du montage du film (assuré par deux célèbres réalisateurs hollywoodiens : John Ford et George Stevens), mais aussi celle de la projection puisque les réalisateurs ont l’idée d’éclairer les bancs des accusés pour que le jury puisse observer leurs réactions pendant la projection. Réactions individuelles qui pèseront dans le verdict final.
La preuve est faite : même quand le réel hurle sa vérité, l’image n’est pas neutre.
Mais c’est aussi que l’image a ses limites, liées à ses capacités techniques de représentation. Ainsi, la preuve visuelle de l’impact d’une frappe de drone peut passer inaperçue, car elle est plus petite que le pixel d’une image satellite, qui représente un carré de 50 cm de côté dans la réalité. L’exposition présente le passionnant décryptage d’un témoignage vidéo.
Plus loin dans l’exposition, d’étranges apparitions mi-homme mi-squelette. Ce squelette retrouvé en 1984 à São Paulo pourrait-il être celui du sinistre docteur Mengele, le bourreau d’Auschwitz ? Pour établir une forme de preuve définitive, un photographe et pathologiste allemand invente une technique de superposition du visage et du crâne. Difficile de dire si l’ajustement plus ou moins précis des deux constitue une véritable preuve scientifique. Mais la superposition génère des portraits d’une morbidité convaincante : ces visages de morts-vivants ne peuvent être que ceux d’une personnalité aussi dérangée que celle de Mengele. Là, c’est carrément la technique d’investigation (plutôt que l’image) qui s’érige en preuve.
La photo relève toujours d’un contrat passé entre le réel, son image, et celui qui la regarde. Il est donc toujours nécessaire d’analyser les conditions de production. Celles de l’image. Et celle du réel par la même occasion…