« C’est du déjà vu ». «Tout a déjà été fait». Ces petites sentences désabusée nous laissent à penser que les grands maîtres appartiennent au passé et qu’il est vain de prétendre exprimer quelque chose de neuf en photographie. C’est méconnaître la façon dont un artiste avance et construit son œuvre.
C’était mieux maintenant est une nouvelle rubrique qui prendra certaines semaines le relais de la question. Son but ? Déceler à travers l’histoire de la photographie des échos entre des œuvres du passé et des travaux actuels, des formes récurrentes, des démarches présentant des similitudes. Parce que la photographie constitue toujours un grand brassage de moments de pensée, d’art et d’émotion.
Depuis quelques années, le photographe finlandais Pentti Sammallahti s’est imposé comme une des références de la photographie noir et blanc. Ses paysages atmosphériques, ses lumières d’aube ou de crépuscule, le déploiement narratif de ses panoramiques l’ont consacré comme un des grands classiques. On ne saurait pourtant affirmer une filiation évidente entre Pentti Sammallahti et certains photographes.
Certes, il pratique le panoramique, mais ce n’est pas avec le travail sur le mouvement (comme Mickael Ackerman), ni en élaborant les compositions très sculpturales de Josef Koudelka. De même, l’attention particulière qu’il porte aux êtres vivants le relie aux photographes humanistes, mais plutôt que les humains, ce sont souvent les animaux qui constituent le sujet de ses photos et parlent de la vie. Pourquoi Pentti Sammallahti nous semble-t-il d’emblée un classique alors que, sans nul doute, son écriture est très personnelle ?
C’est que ses photos font écho à d’autres images de l’histoire de la photographie. Et en même temps qu’elles nous font voyager dans les mondes lointains, elles nous transportent dans le temps des images. Il ne faut donc pas imaginer, dans les rapprochements qui vont suivre, un hommage que Sammallahti rendrait à un autre photographe ; peut-être même serait-il exagéré de parler de citation inconsciente. Mais il n’est pas trop fort de penser que les photographes portent avec eux une partie de l’histoire de ce médium et qu’elle a ses résurgences, comme une puissante rivière souterraine.
C’est l’un des premiers chefs d’oeuvre de l’histoire de la photographie. Il est réalisé par l’anglais William Henry Fox Talbot en 1843. La photographie n’a que quatre ans, elle sait à peine marcher que déjà, elle cherche les lumières, les ombres et les reflets, préfiguration géniale de ce qui l’occupera pendant plus d’un siècle. Comme une sorte d’aboutissement, l’image de Pentti Sammallahti dégage une élégance formelle doublée d’une précision encore inaccessible pour Talbot.
Les images de la photographe mexicaine Graciela Iturbide sont souvent traversées par des vols d’oiseaux. Dans un écho plus sombre et moins lumineux, Sammallahti oppose aussi les activités terrestres à la liberté de l’envol. D’un continent à l’autre, le vivant se montre sous une même communauté formelle.
En 1933, lors de son séjour en Espagne, Henri Cartier-Bresson prend quelques photos qui resteront parmi ses plus fortes. Sammallahti les a-t-il en tête lorsqu’il rencontre ce mur marocain soixante années plus tard ? Il y fait preuve d’une rigueur graphique plus abstraite que dans la photo de Cartier-Bresson qui elle, est plus fourmillante, peut-être plus spontanée.
Et plus encore, comment ne pas voir dans cette photo de Sammallahti un clin d’oeil à la célébrissime photo de Cartier-Bresson, intitulée Derrière la gare Saint-Lazare et prise à Paris en 1932 ? Le fameux pied qui n’a pas encore touché l’eau, celui sur lequel se fonde la théorie de l’instant décisif : il est si figé dans son mouvement qu’il est devenu, d’un côté statufié, de l’autre, confié à deux pigeons !
D’un bout à l’autre du monde, d’un bout à l’autre du temps, les formes se répètent, parce qu’elles se déposent en nous. Chaque photographe les prend avec lui, pour pouvoir les rejouer, les réinterpréter. Maintenant, c’est passionnant.
par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué
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