Depuis quelques années, des mises en scène de mariages homosexuels se multiplient dans une Chine qui ne les reconnaît pas encore comme juridiquement valables. Les photos de ces mariages officieux contribuent à donner de la visibilité au mouvement pour la légalisation d’union de couple LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bis, Trans, Intersexués) et à banaliser l’homosexualité.
► ► ► Cet article fait partie du dossier Se marier au XXIe siècle
La Gay Pride, c’était samedi. C’est l’occasion pour se demander où en est la la lutte pour la légalisation du mariage homosexuel dans les pays où celui-ci est toujours prohibé. Décriminalisée en Chine depuis 1997 seulement et retirée de la classification des maladies mentales depuis 2001, l’homosexualité a du mal à sortir de la marginalisation dans la société chinoise. Depuis quelques années, les mises en scène de mariage et les mariages publics officieux participent de manière récurrente à l’acceptation et à la compréhension de l’homosexualité dans un pays relativement frileux sur le plan des avancées sociales, mais dont les mentalités sont de plus en plus progressistes. Alors qu’en 2006, selon le site Women of China 27% de la population seulement se disait prête à accepter le mariage homosexuel, en 2011, 78% d’un échantillon de 50 000 internautes acceptait l’homosexualité masculine et féminine et 92% se prononçait pour la légalisation du mariage. Alors qu’est-ce qu’on attend ?
Les marches de mariage performatives
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« Même si ce n’est pas un vrai mariage, l’amour vrai mérite toujours bénédiction » (une bénévole organisant le double mariage dans le Wuhan).
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Même si le mariage homosexuel est prohibé, depuis environ 5 ans, des mariages publics se multiplient pour normaliser l’homosexualité et inciter au débat public. Rendre l’événement visible : voilà l’essentiel. Les dates choisies le sont spécifiquement pour favoriser la médiatisation. Ces mariages officieux, organisés dans la rue, sont tant symboliques sur le plan personnel que sur le plan politique : il s’agit d’interpeller les autorités du pays et de remettre en cause les codes familiaux.
L’un des premiers gros événement de ce genre s’est déroulé le 14 février 2009, le jour de la Saint-Valentin, à Pékin, rue Qianmen. Da Na et Bu Xiu veulent aussi profiter de l’événement au grand jour… en se mariant ! Ce mariage, sans reconnaissance juridique, a une valeur performative : le principal n’est pas de célébrer leur amour, mais de faire campagne pour rendre la société chinoise plus tolérante à l’égard de l’homosexualité.
Il y a désormais des bars gays et lesbiens dans la plupart des grandes villes, des magazines officieux naissent, des ONG soutiennent la communauté, mais l’homosexualité a du mal à sortir de la marginalité. Cette difficulté à l’acceptation n’est pas tant religieuse que traditionnelle et familiale. Bu Xiu confie à The Guardian : « Nous n’avons pas de religions qui soient absolument contre l’homosexualité, (…) mais la pression pour se marier est énorme — beaucoup plus que dans l’Ouest. ». Elle pense que sa mère se doute qu’elle est homosexuelle, mais elle aimerait bien qu’elle se marie avec un homme un jour. Non pas dans l’espoir de changer la sexualité de sa fille, mais pour s’assurer qu’elle ait une vie stable et que la lignée familiale continue. Ce genre de manifestation est donc important car il permet de montrer au public que l’on peut former une famille stable tout en étant homosexuel.
© Agencies
L’une des plus importantes marches de mariage fut organisée le 8 mars 2011 à Wuhan, rue Guanggu, dans la province du Hubei, par le groupe de droit des homosexuels de la ville. La date n’est pas innocente : on y fête aussi la journée de la femme. L’événement est donc d’emblée placé sous le signe de l’activisme.
Durant cette Wedding March, 2 couples se marient : un couple d’hommes et un couple de femmes. L’objectif est de donner une visibilité publique à la communauté, de lui permettre d’exprimer publiquement ses désirs et non pas de les reléguer dans des lieux clos. Ce sont autant d’événements qui contribuent à normaliser l’union de couple LGBTI en montrant à la société leur aspiration à mener une vie normale avec comme modèle de base, la cellule familiale fondée sur le mariage de deux individus.
Cet événement se déroulait sur fond de concertations politiques et avait pour but d’appuyer la proposition de la sexologue Li Yinhe, membre de la CCPPC (Conférence consultative politique du peuple chinois), de légaliser le mariage homosexuel. Réitérée tous les ans depuis 2003, sa requête n’a pas encore porté ses fruits.
Les premiers mariages homosexuels publics
Si les mariages publics se déroulant dans la rue sont avant tout destinés à avoir un impact politique, d’autres, organisés comme des mariages véritables, ont une portée plus symbolique et s’inscrivent dans le sillage du déridement croissant des mentalités. Des mariages organisés de manière plus ou moins originale !
Le plus traditionnel s’est déroulé le samedi 22 janvier 2011 à Pékin. Da Wen et Xiao Qiang (les noms ont été changés) sont les premiers gays à s’être « mariés » publiquement dans la capitale chinoise. Certificats de mariage semblables à ceux délivrés par le ministère des Affaires civils en main, les deux conjoints veulent avoir l’impression de mener une vie de couple normale. Ainsi, Xiao Qiang déclare à Chinadaily : « Nous voulons juste vivre une vie stable comme les couples normaux, peu importe si le mariage a lieu ou non. »
© t.sina.com.cn
Par sécurité, le couple préfère que leurs visages restent cachés. L’événement a en effet donné lieu à une tempête médiatique sur Internet.
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Le mariage a été célébré par un maître de cérémonie, Xiao Dong, volontaire au centre de prévention Arc-en-Ciel de Pékin pour la prévention du VIH/Sida. Ce dernier souligne l’importance d’inciter les hommes à avoir des relations stables. Cela permettrait de réduire les risques de Sida. Et un tel mariage peut avoir valeur d’exemple.
Plus original, le mariage simultané de 60 couples lesbiens dans une boîte de nuit à Taipei (Taïwan) n’est pas passé inaperçu. Organisé pour le 20 août 2011, les mariées se voyaient décerner des contrats de mariage dans une période où les évènements et manifestations pour la reconnaissance du mariage homosexuel se développ(ai)ent de plus en plus à Taïwan.
En médiatisant leur mariage, ces couples veulent montrer qu’ils ne sont pas des marginaux et que, comme tous les Chinois, ils éprouvent un attachement aux traditions. La multiplication de tels mariages dévoile une volonté des homosexuels de s’intégrer dans la société et d’avoir les mêmes aspirations que les couples hétérosexuels.
Le premier mariage bouddhiste homosexuel est représentatif à cet égard. Le 11 août 2012 à Gyanyin (Taiwan), deux jeunes femmes ont décidé de s’unir religieusement.
Ces mariages font partie intégrante d’une campagne pour, à terme, légaliser le mariage entre personnes du même sexe. Leur multiplication et leur visibilité permet de les banaliser et de favoriser leur acceptation. Chacune de ces photos constitue un appel à la tolérance. Cela est d’autant plus nécessaire que les couples LGBTI sont couramment confrontés à des agressions et autres formes de discriminations — contre lesquelles il n’existe à ce jour aucune protection juridique. Celles-ci sont, finalement, avant tout dues à une ignorance et à une peur de ce qui est méconnu plus qu’à une véritable homophobie. En Chine, des débats sont actuellement en cours pour la légalisation du mariage LGBTI et un texte est en discussion depuis octobre 2013 au parlement de Taïwan.
© AAP / Le 2 octobre 2012 : une foule se rassemble pour regarder deux hommes s’embrasser après leur cérémonie de mariage dans un hôtel à Tuorong, dans la province de Fujian, dans le sud-est de la Chine.