Cet article fait partie du dossier de la semaine du 10.03.14 : Festivals photo, nouveaux enjeux
Après avoir dirigé une première fois les Rencontres d’Arles en 1986, François Hébel est rappelé en 2001 pour redresser le festival. Avec 450 000 euros de dettes sur les bras et seulement 9 000 visiteurs, il va se concentrer à redéfinir la formule des Rencontres d’Arles. Il investit assez vite les anciens ateliers SNCF jusqu’à y organiser plus de la moitié des expositions du festival. La vente de ce terrain à la Fondation Luma, dirigée et créée par Maja Hoffmann, a créé un conflit sans précédent menant à la démission de François Hébel.
À l’aube de son départ, il répond à nos questions.
Article écrit en collaboration avec Olivier Laurent, British Journal of Photography.
« Les Rencontres d’Arles sont le seul festival qui a les moyens de produire tout ce qu’il fait« – François Hébel
Molly Benn : Vous dites avoir trouvé le festival en faillite lors de votre arrivée en 2001.
François Hébel : Oui, il y avait 450 000 euros de dettes, sachant que le budget du festival avoisinait le million d’euros. Il n’y avait plus de sponsors. Et on ne comptabilisait que 9 000 visiteurs. Il a fallu dessiner un un nouveau projet et son économie.
Je me suis d’abord tourné vers des partenaires privés. Ensuite, le succès aidant, nous avons pu faire payer les visiteurs. Aujourd’hui, 40% de notre budget vient de ces derniers. En 2001, tout le monde m’a dit que je n’arriverai jamais à faire payer les professionnels qui n’avaient pas eu l’habitude de payer jusqu’à présent. Maintenant, les professionnels payent. En revanche, nous avons supprimé la billetterie pour les moins de 18 ans, car je ne voulais pas que les familles s’empêchent de venir. Nous avons aussi développé une politique de tarifs réduits assez généreuse.
En 2001, le festival tenait grâce à 95% de subventions et 5% de recettes. En 2013, le budget des Rencontres se constituent de 40% de recettes grâce au visiteurs, 40% de subventions et 20% de partenariats privés. Personne n’est aujourd’hui majoritaire dans le budget. Nous avons une liberté totale.
Quand vous dépendez d’un seul partenaire, vous êtes prisonnier des relations avec cette source de financement. En multipliant les sources de financement, on développe une certaine liberté vis-à-vis des uns et des autres. Et curieusement, vos partenaires vous respectent plus.
Notre public, c’est notre principale source de financement. Je ne suis pas dans la démagogie de dire que tout doit être gratuit. Le cinéma n’est pas gratuit, les musées ne sont pas gratuits, les livres ne sont pas gratuits, je ne vois pas pourquoi la photographie devrait être gratuite. Les Rencontres d’Arles sont quasiment le seul festival qui a les moyens de produire tout ce qu’il fait. Quand je contacte des commissaires d’exposition, ils me demandent toujours quel est mon budget. Et moi, je leur répond toujours : « quel est ton projet ? ». Jamais je n’ai restreint un projet pour des raisons budgétaires. Et cette liberté, je l’ai conquise.
M. B. : Vous insistez sur le fait que le partenaire doit apporter des finances et non du matériel.
F. H. : Parce qu’un événement n’existe pas sans finance. Pour imprimer le catalogue, payer les chambres d’hôtel, produire les expos, il faut de l’argent. Du cash. Or quand une entreprise d’imprimante vous dit : « Je vous donne une imprimante et des consommables mais pas d’argent », et que beaucoup d’acteurs culturels acceptent en mettant leur logo en énorme… Et bien ça s’appelle casser le marché. Ils font la pub de l’entreprise en lui faisant une vitrine fantastique. Ils font une démonstration du matériel, sans être payé pour ça. C’est juste un scandale. Mais il y a beaucoup de gens de la culture qui ne le voient pas. Souvent, ils se plaignent de ne pas avoir d’argent, mais pour trouver de l’argent, il y a des règles éthiques. Un sponsor, pour le garder sur plusieurs années, ça coûte de l’argent. Chaque année, j’embauche un régisseur spécialement pour mes partenaires. Si on veut garder un sponsor, il faut qu’il soit content. Il faut passer du temps avec lui, il faut cogiter et dialoguer avec lui comme si on était une agence de communication. Il faut qu’il s’y retrouve. Ça prend du temps, u savoir-faire et ça se monnaye. Il ne faut pas chasser les petits sponsors. Il faut travailler avec des sponsors qui ont l’intention d’être généreux. En France, on est pas très éduqué à ça parce que depuis la nuit des temps, c’est l’Etat qui paye la culture.
« Il ne faut pas que le projet de la Fondation Luma écrase les Rencontres d’Arles au passage » – François Hébel
M. B. : Vous revendiquez la liberté financière du festival, mais aujourd’hui, les Rencontres sont tout de même dans un moment d’instabilité.
F. H. : Oui, le coup que je n’ai pas vu venir c’est qu’on nous pique nos lieux d’expositions. Enfin si, je l’ai vu venir, car j’ai averti tout le monde depuis trois ans.
Je suis à l’origine du projets des ateliers SNCF. Il y a sept ans, j’ai proposé à Maja Hoffmann qu’elle achète les ateliers afin de les refaire pour les Rencontres d’Arles. Elle a créé la Fondation Luma. Mais en 2009, elle a changé d’avis et a monté ce projet de centre d’art contemporain. Elle voulait petit à petit expulser le festival.
Donc depuis quatre ans, j’alerte les autorités publiques. Il faut que le projet de la Fondation Luma se fasse parce que c’est un très beau projet, mais il ne faut pas que ça écrase les Rencontres d’Arles au passage. Nous sommes à l’origine du concept des ateliers SNCF, qui devaient être rasé. Laissez-nous y vivre au moins l’été ! Toutes les autorités publiques m’ont tapé sur l’épaule en me disant : « Ne vous inquiétez pas, ça restera privé-public! ». En quatre ans, personne ne s’est assis une seule fois avec Maja Hoffmann pour négocier. Les collectivités locales ont vendu le terrain sans condition et Maja Hoffmann a écrit noir sur blanc, à deux reprises, que les Rencontres d’Arles seraient expulsées.
M. B. : Pourquoi, selon vous, les autorités publiques n’ont pas défendu les Rencontres ?
F. H. : Je ne sais pas. Posez-leur la question. Pourquoi Aurélie Filipetti se répand partout disant que c’est un gâchis alors qu’elle aurait pu empêcher cette situation ?
M. B. : Jusqu’à quel point les collectivités locales et entreprises peuvent-elles s’investir dans un événement culturel ?
F. H. : On espère bien qu’elles s’investissent, mais le responsable de la manifestation culturelle doit marquer les bornes. Le rôle des institutions locales, c’est de soutenir la culture et l’éducation à la culture. Les entreprises, elles, ont besoin de communiquer. L’organisme culturel trouve le moyen d’aider l’entreprise à la communication tout en recevant des finances, et le rôle de la manifestation culturelle c’est surtout de se protéger des interventions artistiques. Il faut être très clair dès le départ. Ce n’est pas l’entreprise ou l’institution publique qui programme l’événement. Le programme est fait par les programmateurs dont c’est le métier. Et ça c’est une barrière qui doit être très nette. Pas violente, simplement nette.
En savoir plus…
Qui est Maja Hoffmann ?
– Héritière des laboratoires Roche.
– Elle évolue dans le milieu de l’art contemporain : elle administratrice au MoMa et à la Tate.
– Elle crée la fondation Luma en 2004.
En quoi consiste le projet de la Fondation Luma?
– La Fondation Luma va créer un centre d’art contemporain sur le site des anciens ateliers SNCF d’Arles.
– Une tour de 56 mètres de hauteur sera construite par Franck Gehry.
– La Fondation Luma investit 100 millions d’euros dans ce projet.
– Ce centre d’art contemporain va générer près de 500 emplois selon les estimations du maire d’Arles, Hervé Schiavetti.
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