Comme un coup de tonnerre dans les habitudes de la photo en ligne, mais aussi dans l’univers des news, Getty Images a annoncé la semaine dernière le lancement d’un nouveau service gratuit de partage d’images, 35 millions de clichés de stock mais aussi de news. Les réactions ont été vives, mais souvent confuses. Qu’en est-il concrètement, et que peut-on attendre comme effets de cette nouvelle offre ? Si peu de changements immédiats sont à prévoir, cela pourrait être la première pierre d’une stratégie de long terme basée sur le mobile. (Pour vous détendre au cours de la lecture, nous avons décidé d’illustrer cet article uniquement avec des chats trouvés sur Getty Images, ndlr)
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De quoi on parle ?
L’intention de Getty est claire : il s’agit de répondre au piratage des images (que ce soit via le trop fameux « DR » des sites web ou le clic-droit de l’internaute) en proposant gratuitement une partie de ses images, avec un système de partage rapide. Les cibles de cette offre sont surtout les blogs, les petits sites d’information et les utilisateurs compulsifs des réseaux sociaux. En effet, chaque image « embed » (embarquée) verra intégré un logo Getty, ainsi que 3 boutons : partager avec l’outil Getty, Twitter ou Tumblr.
Un exemple d’image embarquée via Getty Images
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« Dis papa, c’est quoi l’embed ? »
Quelle est la différence entre l’intégration classique d’une image sur une page web et un « embed » ? C’est simple : l’embed est une sorte de « fenêtre » ouverte depuis une page web vers un autre site, à l’image des vidéos partagées youtube ou vimeo. Concrètement, cela signifie que les images partagées ainsi seront toujours vues directement depuis les serveurs de Getty, et cela implique beaucoup de choses que nous verrons plus loin.
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Ces boutons ont toute leur importance dans un contexte qui voit le développement des mobiles et des tablettes comme support majoritaire de la navigation internet. En effet, si sur un ordinateur de bureau il est aisé de faire un clic-droit et sauvegarder une image, sur mobile l’opération n’est pas aussi intuitive. C’est là que les boutons intégrés au service peuvent jouer tout leur rôle, en particulier pour faire circuler les images sur les réseaux sociaux.
Getty pourrait alors être tenté de devenir le service de référence pour la publication et le partage d’images professionnelles à destination des mobiles, transformant « l’effet clic-droit » en un levier de partage monétisable.
La barre de recherche sur le site Getty Images
Stock et données : le pari de la « longue traîne » et du mobile
La définition des images en libre accès ou non ainsi que la méthode choisie permettent d’avoir quelques intuitions sur ce que compte gagner Getty dans l’opération.
Tout d’abord, les collections d’images qui font le gros des revenus de l’agence sont exclues de l’offre (les images de photojournalisme de reportage en particulier), et les collections de l’AFP ne seront disponibles que plusieurs semaines après publication des photos. Il s’agit en fait de valoriser du stock « passif » d’images à la fois très partagées illégalement (les collections « news » et « sport » par exemple) mais représentant assez peu de revenus directs. On peut dire que Getty compte valoriser la « longue traîne » dans ses collections, c’est à dire que de multiples flux de revenus en provenance d’images peu vues mais nombreuses peuvent représenter un revenu global conséquent.
Les restrictions d’usage montrent également que Getty ne compte pas imposer la gratuité comme modèle absolu, contrairement à ce que redoutent nombre de photographes. En effet, pas de possibilité de redimensionner l’image embarquée, pas d’utilisation « print », pas d’utilisation sur les sites commerciaux : ce sont là des limitations très fortes, qui visent essentiellement à ne pas oblitérer les revenus classiques de l’agence (achats presse et marketing de contenus).
Dernier point, la méthode « embed » (voir l’encadré) permet à Getty de collecter un très grand nombre de données sur les images : site depuis lequel elle est affichée, sur quel système (mobile, tablette, PC, …), durée d’affichage, géolocalisation, site visité auparavant par l’internaute, nombre et chemins des partages (depuis le site X vers le site Y vers Tumblr vers le site Z vers…) et encore tout un tas d’autres informations qui feront la joie d’agences de publicité. Il ne serait pas étonnant que Getty propose un jour une offre de partenariats pour les grands sites, par la fourniture de données publicitaires en échange de l’utilisation de son lecteur d’images. Le scénario d’une introduction de publicités directement sur l’image semble assez improbable (il serait en tout cas assez inopportun) mais pas totalement impossible, en particulier sur mobile, où les espaces publicitaires manquent en termes de place dans les designs des sites et des applications.
Les photographes dans tout ça ?
Plusieurs associations de photographes se sont inquiétées d’une extension du modèle gratuit dans la diffusion de photographies. Cela semble toutefois légèrement exagéré. Les restrictions d’usage imposées par Getty semblent plutôt indiquer une certaine innocuité du système : les photos intégrées sont des photos qui ne représentent presque pas de revenus pour l’agence et les photographes. Dans le pire des cas, cela restera à l’identique. Dans le meilleur des cas, l’existence de statistiques d’usage (affichage) permettra à Getty, à l’instar des plateformes de vidéo comme Youtube ou de streaming musical comme Spotify, d’avoir la connaissance nécessaire à une rémunération des photographes à l’usage. Ces rémunérations potentielles seront probablement infimes, mais ne représentent pas pour autant une aggravation de la situation (DR, piratage).
Les inquiétudes concernent également la rémunération de petites agences ou photographes indépendants, qui verraient le stock « news » de Getty concurrencer leur travail. Là encore, c’est assez peu probable, les cibles n’étant pas les mêmes : les restrictions du lecteur d’images gratuit de Getty interdisent son usage dans un media ayant quelque considération pour sa maquette numérique (pas de redimensionnement), et les indépendants couvrent des spécialités déjà hors-champ pour le stock de Getty : information locale ou spécialisée par exemple, sans parler de l’utilisation « print », qui n’est pas concernée et reste la principale source de rémunération des photographes (en termes de prix par photo au moins).
« Il faut que tout change pour que rien ne change »
On pourrait résumer ainsi l’apport de l’ouverture partielle des collections Getty Images. Dans l’immédiat, peu de choses vont changer, et à plus long terme, l’évolution pourrait même se montrer favorable aux photographes, à condition de pouvoir vendre ses images à l’agence. En effet, avec le développement du mobile (qui représentera la majorité large de la navigation internet dans les années à venir), le partage Getty a des chances de se tailler une sérieuse place dans l’utilisation des images en ligne. A ce moment-là, Getty peut (à l’instar de Youtube pour la vidéo) occuper un espace grand public incontournable, et permettre aux photographes d’être rémunérés pour des pratiques jusque-là hors marché comme le partage d’internaute à internaute ou l’affichage en ligne sauvage, dans la limite du pool de l’agence : si elle décide de s’ouvrir via des partenariats (pour des agences plus petites) ou un système de soumission d’images plus large (pour les photographes), cela peut représenter une aubaine pour la profession, au prix de l’hégémonie de l’agence. Si au contraire le système reste fermé sur les collections actuelles, alors une perte de revenus pour la concurrence est envisageable, en particulier sur les affichages mobiles.
Tout cela est purement prospectif, mais si le système annoncé risque de n’avoir que peu d’effets pour le moment, il est peut-être l’impulsion d’une dynamique chez Getty qu’il faudra suivre avec attention dans ses développements futurs : ouverture du système à des partenaires photo externes ? Publicité ? On assiste peut-être à l’éclosion d’un écosystème de rémunération pour la photo « news » indépendante, là ou on ne l’attendait pas.
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Pour aller plus loin :
Getty Images et Eyeem annoncent leur partenariat (6 Mars 2014)
Eyeem permet aux possesseurs de smartphones de mettre en vente leurs clichés. Son partenariat avec getty comprend en particulier l’intégration de la base d’images Eyeem (ouverte à des milliers de contributeurs) dans le système de diffusion gratuite de getty traité dans l’article. Cela confirme une volonté résolue de Getty de mettre un pied dans l’écosystème de l’information mobile.
via http://photocritic.org/eyeem-getty-collaboration/article en anglais
L’avenir d’Internet est mobile, et il a déjà commencé.
Le pari du mobile, peu intuitif vu de France, est une évidence quand on regarde les statistiques d’usage mondiales. Selon la fédération internationale des télécoms, en 2013, 9,8% de la population mondiale disposait d’un accès à internet fixe (modem ou box relié à un ordinateur, chez soi ou au travail), alors que 29.4% de la population mondiale dispose d’un accès à internet sur mobile.
Le coût élevé des ordinateurs par rapport aux smartphones d’entrée de gamme et la faiblesse des réseaux de télécommunications fixes ailleurs qu’en Europe, aux USA ou au Japon/Corée poussent au développement du mobile comme plateforme multimédia principale dans le monde entier. La navigation sur ordinateur est désormais minoritaire en volume, bien qu’encore majoritaire en revenus, car concentrée dans les pays développés à fort pouvoir d’achat.
Abonnements Internet dans le monde
2007 |
2010 |
2013 |
|
Population mondiale |
6.6 Mds |
6.9 Mds |
7.1 Mds |
Internet Fixe |
5.2% |
7.6% |
9.8% |
Pays en développement |
2.3% |
4.2% |
6.1% |
Pays développés |
18.0% |
23.6% |
27.2% |
Internet Mobile |
4.0% |
11.3% |
29.5% |
Pays en développement |
0.8% |
4.4% |
19.8% |
Pays développés |
18.5% |
42.9% |
74.8% |
Source: Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Global_Internet_usage
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