La disparition du Polaroid : les apparitions de Frédérique Jouval

Frédérique Jouval est photographe. Elle travaille depuis plusieurs dizaines d’années dans la presse et on connaît bien ses sujets sur la polygamie ou encore le handicap et la sexualité. Mais, il y a quelques semaine, une autre série d’images a fait surface. Des hommes, capturés au Polaroid, des images frêles, qui disparaissent avec le temps et nous renvoient à la fragilité des corps. Le Polaroid n’existe plus depuis 2007 (année où les usines ont fermé). Mais il reste de nombreux projets de photographes au Polaroid à défricher. Aujourd’hui, découvrez la série « Apparitions ».

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« Cette série a été réalisée vers 2005. Différentes personnes “aventureuses” ont volontiers accepté de participer à cette aventure photographique où se dessine, telles des ombres, des encres, en un dernier souvenir, la mémoire des corps. J’ai voulu évoquer l’idée de “l’immaterialité du corps”, un mouvement ultime avant l’effacement ou l’apparition. Entre la mort et la vie. Réapparitions de fantômes quasiment asexués. Comme ressuscités. Comme les marques du temps sur ces corps perdus, enfuis. Une réapparition s’amorce. » Frédérique Jouval

Le Polaroid, une photographie sensuelle

Le Polaroid a connu ses heures de gloire grâce à des artistes comme Sarah Moon, Déborah Turbeville, Paolo Roversi ou Corinne Mercadier… Mais les usines ferment en 2007, laissant beaucoup d’artistes en manque d’un procédé qui était instantané et poétique.
Quand Frédérique Jouval décide de réaliser une série de photographies de corps à l’appareil photo instantané, elle ne se pose même pas la question du procédé. Il lui paraît évident. La matière du Pola rejoint celle des corps. La sensualité d’une photographie prend ici tout son sens.

« J’avais un Polaroid a soufflet. J’adorais cette matière. Surtout le Polaroid NxB 665 avec le négatif intégré qui n’existe plus aujourd’hui.
Quand tu détachais ton pola, tu avais d’un côté ton négatif que tu allais vite mettre dans un fixateur pour figer l’image, sinon elle s’effaçait. Il fallait faire cette opération rapidement et dans le noir. Et de l’autre côté, sur ton positif, tu passais un petit bâtonnet imbibé de fixateur, pour que l’image ne disparaisse pas. Ce geste laissait des traînées sur l’image selon la ténacité du produit.
Sur ma série “Apparitions”, ce sont mes positifs que j’expose. Le négatif est extra sensible et dans mes noirs, il n’y a presque pas de matière. J’ai fait faire des tests de tirages par différents laboratoires qui pour le moment n’ont rien donné de concluant. » Frédérique Jouval

Une image fragile

Comme beaucoup de photographies argentiques, le tirage Polaroid est fragile. Petit à petit, les images de Frédérique disparaissent. Pourtant cette série s’appelle « Apparitions ». Ces corps photographiés évoquent une certaine immatéralité du corps, la présence ou l’absence du corps humain. L’aspect flou et l’impression de voile nous inspire un être insaisissable.

« Je ne voulais pas appeler ce travail “Disparitions”, même si l’image disparaît petit à petit. La disparition c’est la mort et je veux pas entrer là dedans. C’est la vie qui m’intéresse. L’apparition s’apparente à la révélation quelque part. » Frédérique Jouval

Aujourd’hui, le Polaroid n’existe plus. The Impossible Project (un groupe d’anciens ouvriers de Polaroid qui ont racheté les machines pour poursuivre la production) continue de produire des films, mais les tirages sont encore très instables. Concrètement, Frédérique Jouval n’a pas de moyens à sa disposition pour continuer sa série et la prolonger. La fin d’une industrie induit la fin de certains travaux artistiques. Pourtant, les « Apparitions » de Frédérique sont, elles, encore bien présentes. Elles s’exposent à Porto, au Portugal, et trouveront certainement d’autres lieux d’exposition. La disparition progressive de ces images constituent finalement une belle métaphore de cette immatérialité de l’homme. Ars longa, vita brevis, maxime latine qui nous dit que l’art est long mais la vie est brève. De même, les photographies passent, mais l’image reste.

Site internet : frederique.jouval.book.picturetank.com

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