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Le collodion humide, la simplicité par un procédé complexe | Entretien avec Eric Antoine

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Eric Antoine, Ensemble Seul

Eric Antoine est un photographe travaillant au collodion humide, un procédé photographique né au milieu du XIXe siècle. Ses images racontent un univers immergé dans la nature, peuplé de femmes solitaires, d’objets du passé, de symboles… Allant bien au-delà de l’esthétique, Eric Antoine photographie son monde intérieur avec une technique qui correspond à la fois à ce qu’il souhaite montrer et au rapport qu’il entretient maintenant, dans la phase actuelle de sa vie, au temps. Entretien.



Eric Antoine, Ensemble Seul
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« Le collodion humide avec ses multiples étapes et accidents est un enfer pour un perfectionniste »

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Qu’est-ce que le collodion humide ?

La technique du collodion humide, inventée en 1851 par Frederick Scott Archer, photographe britannique, produit un négatif sur verre qui, posé sur un fond noir, devient un positif appelé ambrotype. Elle consiste en une épaisse émulsion liquide appliquée sur une plaque de verre, qui est ensuite plongée dans un bain de nitrate d’argent, puis transférée dans un châssis étanche à la lumière. Les prises de vue se font à la chambre photographique. La photographie au collodion humide exige des manipulations chimiques (pour la préparation de la plaque de verre, le développement, la fixation de l’image…), le transport d’une chambre noire portative (le délai entre la prise de vue et le développement est très court), une rigueur et un soin extrêmes. Mais elle permet d’obtenir une finesse de grain, une précision et une subtilité dans les tons qui a fait son succès jusque dans les années 1880, date de l’apparition des plaques à gélatine sèche.
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OAI13 : Eric Antoine, pouvez-vous nous raconter votre cheminement de photographe ?
Eric Antoine : À la sortie de l’adolescence, j’ai tout d’abord photographié maladroitement des gens proches de moi. Ensuite, je me suis consacré à ma passion pour le skateboard et la photographie. Pendant 15 ans, je suis allé très loin photographier le monde et mes rencontres, avec une envie insatiable de toucher à tout. J’ai beaucoup expérimenté les phases de développement et tirages, puis les procédés alternatifs et anciens. En 2010, je suis revenu photographier ce qui m’était encore plus proche, jusqu’à ne plus sortir de chez moi (aujourd’hui j’expose 70 photographies dont aucune n’est prise à plus de 100 m de mon lit). Voilà mon parcours, en quelques lignes.



Eric Antoine, Ensemble Seul

OAI13 : Pourquoi le collodion humide ?
E-A : Parce qu’il représente le procédé parfait pour mon travail photographique actuel. Le collodion humide m’offre une photographie précise et très complète. J’aime les objets que deviennent mes photos, j’aime le verre (je l’utilise principalement sur du verre), j’aime ne dépendre de personne et pouvoir gérer toutes les étapes de ma photographie, j’aime leur coté pictural, la présence de l’argent et sa brillance, j’aime ce lien plus étroit que jamais entre peinture et photographie.
La série sur laquelle je travaille depuis 3 ans, « Ensemble seul », avait besoin de tout cela pour exister. Je n’utilise pas le collodion pour sublimer des images vaines, je l’utilise parce que mes images ont besoin de son caractère absolu. Photographies, objets, peintures, il fallait que ça soit tout cela à la fois. Je photographie la simplicité avec un procédé complexe, je fais très peu d’images à une époque où on en est totalement boulimique, je m’amuse avec ces contrastes : il y en a tant !
Je parle souvent de photographie thérapeutique. Le collodion humide est ma thérapie depuis quelques années. Je vis avec et je ne pourrais plus vivre sans. Le collodion humide avec ses multiples étapes et accidents est un enfer pour un perfectionniste, mais cet enfer m’occupe, donc me sauve.



Eric Antoine, Ensemble Seul
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« Le collodion humide ne doit pas être une fin en soi »

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OAI13 : Qu’apportez-vous de contemporain à cette pratique ?
E-A : Je suis contemporain, mes cadrages sont contemporains, tout dans ma démarche est contemporaine : ce besoin d’opposition face à la surproduction d’images actuelle est forcément contemporain.
Le piège des procédés anciens, c’est de sombrer dans une reproduction, souvent maladroite, du passé, ou bien travailler sur la facilité évidente du choc d’un sujet moderne traité avec une technique ancienne. Je les utilise autrement.
Si dans ma série « Ensemble seul » j’essaie de créer une ambiance intemporelle, je ne singe pas le passé, je ne pratique pas le collodion humide dans un souci naïf de retour en arrière. Que ce soit clair, je n’appartient pas à la tendance « rétro » ! J’utilise des techniques anciennes quand elles collent avec mon propos. Si demain, mon nouveau travail photographique demande de la mobilité et un résultat rapide, j’utiliserai certainement un appareil numérique. Je ne suis pas un extrémiste passéiste.
Il est possible de faire du collodion de maintes manière différentes. Du moment qu’on rentre dans la spirale de cet procédé, il est dommage de se contenter d’une image sale, non contrôlée avec des optiques plates et fades, dans des formats outrageusement grands pour cacher la médiocrité de la base de tout : l’image photographiée. Je suis pour l’apprentissage extreme et méthodique à la technique, le contrôle maximal de cette dernière (on ne contrôlera jamais tout) et son utilisation cohérente. Je suis partisan d’une photographie honnête, simple et non sensationnelle.
Le collodion humide, avec son aspect oublié et ses défauts souvent très picturaux, ne doit pas être une fin en soi. C’est trop facile.



Eric Antoine, Ensemble Seul

OAI13 : D’où vient cet univers que vous dépeignez dans votre travail ?
E-A : C’est simplement mon univers que je dépeins dans « Ensemble seul ». Un tournant violent de ma vie m’a amené a me consacrer a cette série afin de décrire pudiquement les événements : y figure la fragilité de l’être, l’absence, le regret, et bien entendu la fuite du temps. Ces photos peuvent paraître légères, bucoliques et douces, voire apaisantes, mais ces images sont nées d’un besoin d’exorciser des souvenirs trop difficiles à porter. On y retrouve beaucoup de symboles classiques, des spectres sombres flottent sur le verre et grignotent les corps, des interventions étranges sont à interpréter librement… J’admets facilement que j’ai fait ces images pour moi-même, avant tout. Je parlais de photographie thérapeutique, voici un autre aspect de cette thérapie.



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« J’essaie de ne pas trop mettre en scène »

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OAI13 : Quelle est la relation entre le choix de vos sujets et la technique du collodion humide ?
E-A :
Mes sujets sont choisis indépendamment du procédé et sont réfléchis avant toute prise de vue. Le grand format ne permet pas trop d’improvisation, le collodion humide encore moins.
Dans cette série, le choix des sujet est quasiment tout le temps dicté par mon propos et le message a faire passer.
Quant aux positions des personnages, elles sont parfois influencées par les peintures classiques qui me passionnent, mais aussi par des observations que je fais quotidiennement. Il n’est pas rare que je prenne une photo avec mon téléphone pour me souvenir d’une position, d’un moment, pour ensuite le recomposer plus proprement dans une photographie grand format.
J’ai longtemps prôné la photographie instantanée et l’importance de sortir du côté technique de la photographie, une photographie plus instinctive. Mais là, avec l’utilisation de chambres grand format, j’avoue que je suis bien obligé de réfléchir chaque image. J’essaie de ne pas trop « mettre en scène » et surtout, pour ne pas tomber dans le piège esthétique du procédé, après chaque image, j’aime me poser la question : « Est-ce que cette photo aurait une valeur si elle avait été faite avec un autre procédé?  »
J’utilise le collodion humide comme tout autre outil. Le numérique (même s’il offre d’autres libertés totalement révolues avec les multiples contraintes du collodion) ne m’offrira jamais la qualité du collodion. Je peux faire des tirages barytés gigantesques sans perdre de qualité et sans grain aucun. Voilà une utilisation moderne du collodion humide que Sally Mann a largement et brillamment exploitée. J’expose des photos/objets, mais aussi des tirages d’après négatifs au collodion. Dans les 2 cas, il s’agit d’une photographie « vivante », organique. Que ça soit les fibres du baryté ou le verre des ambrotypes, c’est ce côté réel qui m’intéresse, loin d’un écran et son format jpg ou de l’acrylique et son diasec. Une capsule de réel et de simplicité dans tout ce déluge numérique.


L’exposition qui a lieu à Paris jusqu’au 30 Novembre 2013 est une belle occasion de découvrir et d’apprécier, outre le travail d’Eric Antoine, ce que ce procédé offre en qualité d’image. Elle rassemble 70 photos dont 60 originaux sur 2 étages.

« Ensemble seul »
Galerie Laurence Esnol
7, rue Bonaparte, 75006 Paris.

Site internet : ericantoinephoto.com

Eric Antoine, Ensemble Seul

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