Le photographe français Philippe Guionie est historien-géographe de formation. Et cela n’a rien de surprenant tant son oeuvre s’intéresse à la question de la mémoire et de l’identité. À travers différentes séries, principalement de portraits en noir et blanc, il a photographié le continent africain et sa construction identitaire. À l’occasion de la thématique « Méditerranée » du Mois de la Photo, l’artiste présente une nouvelle perspective de son travail: une série, réalisée entre 2004 et 2012 en Polaroid, consacrée à la Mer Noire. La série Swimming in the Black sea a une double actualité: un livre qui vient de sortir aux éditions Filigranes et une exposition présentée au Salon du Panthéon.
► ► ► Cet article fait partie du dossier : MOIS DE LA PHOTO | #03 : Photographie méditerranéenne
| Interview par Camille Périssé | Toutes les images © Philippe Guionie / Myop
OAI13: Comment êtes-vous devenu photographe?
Philippe Guionie: Je suis photographe autodidacte depuis maintenant une quinzaine d’années. Mon parcours a été marqué par quelques rencontres décisives notamment celle avec Willy Ronis qui a été le premier à me publier. Ensuite il y a eu ma rencontre avec le photographe coloriste Pascal Maître et d’autres photographes qui m’ont donné envie de faire ce métier.
Je suis devenu photographe pour être libre de mes choix et de mes engagements. Si je dois résumer ma photographie, l’idée est de tenter de poser des visages sur des mémoires qui n’en ont pas ou peu et d’essayer d’en proposer une lecture subjective et assumée.
Swimming in the black sea est mon premier travail en couleur et en Polaroid. C’est un voyage poétique et atemporel autour la mer noire fait à partir d’un petit livre oublié de Jules Verne qui s’appelle Kéraban-le-têtu. Ce livre raconte l’histoire d’un marchand d’étoffes qui fait le tour de la mer noire car il refuse de payer la taxe pour traverser le Bosphore.
Quelle est l’influence de ce livre de Jules Verne sur votre série?
J’ai pris cette histoire comme prétexte en oubliant totalement le texte et le parcours originel du personnage central du livre. Je suis reparti à la base de l’errance autour de cette mer que l’on voit à peine dans mes images. La mer noire n’est qu’un prétexte: je lui tourne le dos. Par l’utilisation du film Polaroid, c’est un voyage qui ne raconte pas d’histoire stricto sensus mais qui est une histoire de sensations, de sentiments où chaque image doit se regarder pour ce qu’elle est.
Qu’est-ce qui a motivé le choix du Polaroid?
Le Polaroid a été pour moi une façon de sortir de ce que j’ai fait avant.
D’un point de vue très personnel, je me méfie de la couleur. 99% de mon travail est en noir et blanc et en argentique. Travailler en Polaroid était une double envie. C’était d’abord une première étape vers la couleur car pour moi le Polaroid est un entre-deux. C’est très graphique, peut-être par l’héritage du noir et blanc, tout en ayant une texture particulière. C’est un cas d’étude.
J’avais aussi envie de travailler sur l’éphémère de la prise de vue: on appuie et le Polaroid sort tout de suite. C’était nouveau pour moi qui étais toujours dans le culte de l’image latente lié au fait que je travaille généralement au Rolleiflex.
J’avais acheté des Polaroids pendant des années avant d’apprendre que le support allait disparaître. L’histoire dans l’histoire c’est aussi une réflexion sur le médium et sur le film Polaroid. Quand j’ai commencé ce travail en 2004, le Polaroid était de bonne qualité, avec de la matière, de la texture. Au fil du temps, à force de le déplacer dans le aéroports, de passer aux rayons X, le support s’est détérioré par l’apparition de la couleur jaune dans l’image, par tâche ou par trace. J’ai constaté cette détérioration et je l’ai intégré à ma réflexion. Je me suis servi de cette aberration chromatique dans mes images pour raconter l’histoire de l’histoire. Les images de la fin n’ont rien à voir avec celles du début.
Il y a donc une sorte de chronologie?
Il y a une chronologie, le livre est chronologique. Mais il n’y a aucun élément de légende, on est en dehors de tout contexte. J’avais besoin de cette décontextualisation. Je suis un photographe qui écrit beaucoup sur la photo, qui raconte des histoires sur la photo. Là j’avais envie de me taire, de rester silencieux par cette double narration.
Par ma formation d’historien-géographe, mon rapport au temps est exacerbé. Sans mélancolie ni nostalgie facile, je m’inscris beaucoup dans le temps qui passe. Ma photographie s’inscrit quelque part entre le temps court et le temps long. Pour moi, travailler en Polaroid est vraiment l’apologie du temps court. Pour mes travaux au Rolleiflex, je réfléchis au temps long. Qu’est ce que je vais raconter de différent ? Quand on est photographe, on s’interroge beaucoup sur la notion de trace, la sienne, sans prétention mal placée mais avec ambition, et celle des autres.
Vos séries précédentes travaillent beaucoup les visages, Swimming in the Black Sea est, au contraire, une série presque dépeuplée…
Ce projet était aussi une façon de me reposer un peu les yeux et la tête car je voyage quasiment en permanence sur le continent africain. Je revendique beaucoup cette photographie documentaire qui s’intéresse aux hommes mais là je prenais une distance nouvelle par rapport aux gens avec qui j’ai très peu parlé. Il y a beaucoup de paysages, de détails. Je voulais sortir de ce face à face frontal du portrait photographique et être simplement seul, dans un territoire que je me contentais de contempler à distance.
Ce travail est exposé dans le cadre du MOIS DE LA PHOTO 2014
Plus d’infos:
- Philippe Guionie – Swimming in the Black Sea
- Salon du Panthéon : 29 octobre – 21 décembre
- 13 rue Victor-Cousin, 75005 Paris
- Philippe Guionie est membre de l’agence Myop et représenté par la galerie Polka à Paris.
- philippe-guionie.com
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