Imaginez pouvoir faire le portrait photographique d’une trentaine de personnes dans une même image, sur un même visage. C’est ce que Ken Kitano, photographe japonais, réalise depuis près de 15 ans. Basé à Tokyo, il était présenté par la Rose Gallery à Paris Photo et expose avec un groupe de photographes dans l’une des galeries du quartier de Saint-Germain-des-Prés : la galerie Da-End. À travers son processus long et précis, Ken Kitano dessine un visage au contour flou d’une société diverse.
30 kurdes, les 6 et 7 septembre 2011 dans les villages de Marinvan et Ur-Rahman Takht, Kurdistan, Iran, © Ken Kitano
[pullquote type= »2″] »Je ne comprenais rien à la technique, mais le principe même d’une photographie me passionnait. »[/pullquote]
OAI13 : Comment êtes-vous devenu photographe ?
Ken Kitano : Quand j’étais au lycée, mon frère m’a conseillé d’acheter un appareil photo. J’ai acheté mon premier réflex mono-objectif. Je ne comprenais rien à la technique, mais le principe même d’une photographie me passionnait. Je suis allé à la bibliothèque, j’ai découvert Eiko Hosoe, Daido Moriyama, Ikko Narahara. Je découvrais une ouverture sur le monde et je me découvrais moi-même à travers ces photographes. J’ai compris que la photographie était un art. J’avais 15 ans.
À l’époque j’étudiais les mathématiques. J’ai commencé à travailler sérieusement la photo quand j’étais à l’université. J’ai sorti ma première série, « Flow and Fusion », en 1992. J’avais photographié des paysages urbains en noir et blanc. J’ai eu ma première exposition en 1993 à l’I.C.A.C. Weston Gallery à Tokyo. Cette série a été éditée en livre en 2009.
29 enfants s’entraînent pour leur pèlerinage à la Mecque, 4 octobre 2010 dans un jardin public à Banda Aceh en Indonésie © Ken Kitano
[pullquote type= »2″] »Je voulais disparaître et me fondre avec eux, devenir l’un d’entre eux. J’ai commencé à imaginer un portrait de « nous ». »[/pullquote]
OAI13 : Comment en êtes-vous arrivé à la série « Our Face » ?
K-K : Depuis l’enfance, j’ai toujours été fasciné par l’existence humaine. En 1995, après deux catastrophes (le tremblement de terre de Kobe et l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo), beaucoup de vies ont disparu. J’ai été très choqué par le peu que je pouvais visualiser et comprendre de toute cette douleur et violence infligées à des personnes qui auraient pu être proches de moi.
J’ai alors essayé de mélanger mon portrait à celui d’autre personnes. Je voulais disparaître et me fondre avec eux, devenir l’un d’entre eux. J’ai commencé à imaginer un portrait de « nous ». C’était en 1999.
Mon travail s’inspire beaucoup du muralisme mexicain des années 1920 (Diego Rivera, Hose Clemente Orozco et Frida Kahlo. Leur façon de parler de l’humanité du passé et du futur, des minorités et de la colonisation m’a beaucoup marqué.
Avec le projet « Our Face », je crée un portrait de plusieurs personnes sur une même image. D’abord je parcours les rues, je rencontre des gens et j’en fais le portrait. Puis je les superpose sur un même papier grâce à une technique de sous-exposition et je crée une seule photographie. Tout ce processus se passe dans mon propre laboratoire. C’est vraiment très excitant de le faire à l’argentique. Je préfère ça que devoir me reposer sur un travail informatique.
Depuis que j’ai commencé ce projet en 1999, je me suis concentré sur l’Asie. Mais maintenant, je cherche à photographier sur d’autres zones géographiques.
OAI13 : Que voulez-vous exprimer à travers ce projet ?
K-K : Je tente de porter une réflexion sur ce que représente notre existence. En pensant à moi, je pense aussi aux autres, et en pensant à l’humanité, je me considère moi-même.
[box type= »1″]
Actu
Ken Kitano
Exposition collective à la galerie Da-End jusqu’au 21 décembre 2013.
17 rue Guénégaud, 75006 Paris
[/box]
30 geishas et apprenties geishas pour le Kyo-Odori de Miyagawa-cho, les 4 et 5 avril 2003, performance à Miyagawa-cho, Kyoto, Japon © Ken Kitano
34 enfants de la région de Samarkand, Umeem Talim Primary School, 22 novembre 2010, Xanaka, Miian, Samarkand, Ouzbékistan
Shibuya Tokyo, 1991, série Flow and Fusion
Tokyo Dome, 1990, série Flow and Fusion