L’agroalimentaire est un des sujets prédominants de notre société. Entre problématiques commerciales, économiques et éthiques, quelle image avons-nous de cette industrie? On a tous été confronté à des photographies d’usine de nourriture. À bien y regarder, on se rend vite compte qu’elles se ressemblent toutes et qu’à l’instar de ce qu’elles représentent, elles semblent produites à la chaîne. Face au vide discursif que provoque notre habitude de voir des images de la production alimentaire de masse, est-il possible de réveiller le débat par la photographie?
| par Camille Périssé
► ► ► Cet article fait partie du dossier : Alimentation : l’impact de la photographie sur nos assiettes
Une banalisation de l’imagerie de l’industrie agroalimentaire
Les photographies de l’industrie agroalimentaire semblent interchangeables pour les non spécialistes. Cette sensation est en grande partie provoquée par l’iconographie et l’esthétique de ces clichés. Nos yeux sont habitués à la manière dont les processus de production sont cadrés: grande profondeur de champ sur des chaînes mécanisées, univers chromé, répétition des motifs dans le cadre et personnel en charlotte, blouse blanche et gants bleus.
Cette iconographie banalisée est véhiculée par les institutions elles-mêmes. Que ce soit par les entreprises, les banques d’images ou bien par le fond photographique de la médiathèque du ministère de l’agriculture , l’agroalimentaire est documenté de manière neutre, uniforme et positive pour montrer l’hygiène, la productivité et le savoir-faire. Cette standardisation de la représentation de la productivité à l’instar du produit, permet de banaliser l’industrie et donc de fatiguer le rejet que ces photographies peuvent naturellement provoquer. On est tellement habitué à cette iconographie de ce qui arrive dans nos assiettes, qu’on ne s’en étonne plus, qu’on ne s’en offusque plus.
Un discours photographique dénonciateur
À l’heure où les images de l’industrie agroalimentaire ne sont plus perturbantes, comment créer un discours photographique dénonciateur? En jouant sur cette iconographie dominante et en en décentrant le point de vue.
Olivier Culmann a réalisé un reportage sur l’industrie du poulet dans lequel il joue et déjoue le motif canonique de la répétition industrielle dans le cadre: il photographie des poulets en plan serrés à différents stades de leur production. Ce n’est qu’en 2000 qu’il s’aperçoit des ressemblances de ce reportage avec un autre de ces travaux sur les derniers appelés au service militaire obligatoire avant sa suppression. Son livre, Une vie de poulet, les réunit et leur confère une dimension comique et politique réciproque. Le photographe explique : « Le reportage sur le service militaire a été réalisé en 1996, celui sur l’industrie du poulet en 1998 dans un tout autre contexte. Mais, d’une certaine façon, ils racontent la même histoire. Celle d’une ligne à suivre, obligatoirement, sans libre arbitre et sans possibilité de s’en démarquer, autrement dit le principe même du conditionnement. C’est cette idée-là, au delà même des raisons qui m’avaient motivé à réaliser individuellement chacun des deux sujets, qui m’a poussé à les associer ».Le conditionnement des poulets définissent la standardisation et la déshumanisation d’une génération par le service militaire, et vice versa, le service militaire évoque le strict traitement infligé aux poulets.
© Olivier Culmann, Une Vie de Poulet
© Olivier Culmann, Une Vie de Poulet
L’habituel cadrage de l’extrême mécanisation du travail à la chaîne écrase toute présence humaine et provoque immédiatement un sentiment de dépersonnalisation, d’aliénation. En rompant avec cette iconographie des abattoirs, Adrien Ehrhardt, dans sa série Meat your maker, isole la carcasse sur un fond blanc et y accole le portrait du boucher cadré de la même manière. Un effet de lecture à double sens (la carcasse devient l’homme, l’homme devient la carcasse) qui personnalise le processus tout en en montrant l’aliénation qu’il peut provoquer.
Une nuance de l’industrie agroalimentaire
Il est plus facile de déjouer l’iconographie industrielle pour la critiquer et la dénoncer plutôt que pour en vanter les mérites. Est-il possible de véhiculer un discours nuancé sur l’agroalimentaire par la photographie?
Lorsque qu’il doit réaliser un reportage sur ce sujet pour le Rijksmuseum d’Amsterdam, Henk Wildschut part tout d’abord avec un a priori négatif sur le sujet:
« Après deux ans de recherches et de photographies, je me suis rendu compte que le discours sur la production agroalimentaire pouvait être affiné et que cela mettait les supposés avantages et désavantages sous un autre éclairage. Une approche unilatérale de l’agroalimentaire est une barrière aux vraies solutions. La nourriture est un sujet trop large et complexe pour les bons mots ou être décrit en termes de Noir et Blanc. »
Le reportage de Henk Wildschut présente l’agroalimentaire sous un autre angle de vue. Nuancer cette industrie passe alors par une nuance de l’iconographie habituelle. En isolant ses sujets les uns des autres, que ce soit les animaux, les employés ou bien la mécanique, le photographe décortique la chaîne de production pour mieux en comprendre les tenants et les aboutissants. Contrairement aux idées reçues, le modèle industriel peut contribuer au bien-être des animaux et n’est pas nécessairement plus néfaste que l’agriculture biologique. Il préfère ainsi la simplicité d’un mur blanc à la saturation graphique habituelle de l’image de l’agroalimentaire et la profondeur de champ est toujours utilisée à bonne escient comme pour mettre en perspective les installations.
Les images de l’agroalimentaire sont marquantes. Cependant, l’habitude nous a lassés de nous interroger. Pour mener un discours constructif, certains photographes remettent en question les codes et les nomenclatures visuelles de la représentation du monde alimentaire. L’interrogation sur l’agroalimentaire passe finalement par un questionnement de sa représentation.
Pour en savoir plus sur le travail d’Henk Wildschut
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