C’est au petit matin, dans une impasse, que l’on a retrouvé le corps de la photographie. Abattue froidement d’une balle en plein milieu du diaphragme. Déjà, les salles de rédaction préparent leur titre tonitruant : « Est-ce la fin de la photographie ? ». Alors qu’au même moment, comme en réponse, les techniciens de la police scientifique sont déjà sur place pour photographier la scène de crime. Immédiatement suivis par les commissaires (d’exposition) . Pour lancer l’enquête, il faudra attendre l’autopsie de la victime : peut-être a-t-elle eu le temps d’enregistrer l’image de son agresseur…
La fin du monde, la fin des images, la dernière photographie : l’art autant que les médias aime les accents prophétiques. L’art aime s’aventurer jusqu’à ses propres limites, c’est même l’un de ses moteurs. Et comme chaque artiste est préoccupé par l’héritage artistique qu’il laissera derrière lui, il souhaiterait presque que l’histoire de l’art s’arrête avec lui. La photographie était donc dans le collimateur et recevait régulièrement des menaces de mort.
Commençons par l’arme du crime. Les experts balistiques sont au travail et l’étau se resserre. Deux armes sont envisagées : le photo-revolver de poche de Théophie-Ernest Enjalbert construit en seulement quatorze exemplaires(1882).
Ou bien le fusil photographique d’Etienne-Jules Marey, utilisé pour décomposer le mouvement animal ou humain (on appelle cela la chronophotographie).
Reste l’assassin : deux principaux suspects qui, pour l’instant, bénéficient de la présomption d’innocence. Nom : Jean-François Lecourt. Nationalité française. Né en 1958. Fiché comme serial killer d’images photographiques depuis 1977. Tire indifféremment sur le papier photo ou sur l’appareil. Ici, c’est l’instant de la mise à mort qui déclenche l’image. Ainsi, en tirant sur le sténopé, JF Lecourt perce le trou qui permettra qu’une image se forme. Un suspect peut-être à écarter parce qu’après tout, c’est sur sa propre image que tire l’artiste. L’image n’existe donc que parce qu’elle meurt.
Jean-François Lecourt
Jean-François Lecourt
Nom : Steven Pippin. Nationalité : anglais. Né en 1960. Recherché pour avoir photographié des meurtres d’appareils photos. Processus complexe : en tirant une balle dans l’appareil, un flash se déclenche et, avec un subtil jeux de miroirs, l’appareil prend la dernière photo qu’il puisse prendre avant sa destruction totale. Comme un autoportrait à l’instant de sa mort.
Steven Pippin
La photo de l’installation de Steven Pippin a été réalisée lors de son exposition au CEEAC de Strasbourg, en 2011.
L’enquête est en cours. MAIS : voici que vient d’apparaître un indice de dernière minute. La photographie aurait laissé un message : à côté d’elle, gisant au milieu des éclats de verres et des fragments métalliques, on a trouvé un livre signé Alexander Honory : The Lost Pictures* ( format de l’ouvrage : 9×13,4 cm, soit approximativement le format d’un tirage photographique standard). Il regroupe 65 photographies perdues, uniquement décrites en quelques mots ou phrases. Se sentant au bout du rouleau (de pellicule), la photographie se serait-elle suicidée ?
*Le livre d’Alexander Honory est l’ouvrage qui conclut le volume II de l’ouvrage de Martin Parr « Le Livre de photographie, une histoire », dont le volume III vient de paraître, éditions Phaidon.