Dans la photographie, il y a certains mécènes qui semblent inaccessibles tant leur politique culturelle est pointue et spécifique. Pourtant, quand OAI13 a demandé à rencontrer l’équipe de Neuflize OBC pour comprendre comment se constituait une collection d’entreprise, Valérie Chaussende (directrice de la communication de la banque Neuflize OBC) et Claire-Odile Bodin (responsable de la collection Neuflize Vie) ont répondu positivement. Si l’on ne connaîtra pas le budget qu’accorde chaque année Neuflize OBC au financement d’artistes photographes et à l’achat d’œuvres, OAI13 a néanmoins pu se renseigner sur les rouages d’une collection d’entreprise, de sa naissance à sa pérennité en passant par le choix des œuvres. Rencontre.
Siège de la banque de Neuflize OBC, Paris
Désirée Dolron « Xteriors II « (Catya), 2001 – Tirage couleur, éd. 5/8 163 x 124 cm
©Désirée Dolron – Crédit photo : André Morin
[pullquote type=2] »Je pense que la démarche de collection a pérennisé un engagement amorcé avec le mécénat » Claire-Odile Bodin[/pullquote]
Our Age is 13 : D’où vient la volonté de constituer une collection au sein de Neuflize OBC ?
Valérie Chaussende : Neuflize OBC était traditionnellement dans le mécénat culturel, depuis ses origines, avec notamment le musée Jacquemart-André. Dans les années 1990, la banque a réalisé ses premiers achats de photographies, soutenant ainsi des artistes. La création de notre filiale d’assurance-vie a favorisé l’émergence de l’art photographique dans le groupe puisqu’elle a très vite confirmé sa volonté d’investir le champ photographique comme axe de mécénat culturel. Parallèlement au soutien d’institutions et d’expositions dédiées à la photographie, nous continuons à acheter des œuvres sans penser précisément à la constitution d’une collection.
À quel moment la transition s’opère entre le fait de vouloir acheter des photos et ensuite constituer une collection ?
V.C : Notre fond photographique n’était pas très important, mais nous avions conscience qu’il fallait s’organiser pour la conservation et l’exposition de ces œuvres. De même, l’impact de l’accrochage des photos sur les murs de la banque, voire de leur utilisation pour la communication institutionnelle, était positive. En 1997, nous avons donc créé la collection Neuflize Vie pour « afficher » officiellement notre volonté d’accroitre et de valoriser ce patrimoine photographique.
C-O.B : Je pense que la démarche de collection a pérennisé un engagement amorcé avec le mécénat : vis-à-vis des artistes car constituer une collection est aussi une forme de soutien, et aussi vis-à-vis des salariés, qui sont amenés à vivre avec les œuvres de la collection.
V.C : Créer une collection, c’est mettre un nom sur ces achats, les nommer, leur donner un sens.
C-O.B : Les œuvres ne sont pas exposées en permanence, afin de répondre à un impératif de conservation préventive. Environ 40 à 50% des œuvres de la collection sont exposées à Paris et dans nos centres implantés en régions. Nous faisons très régulièrement des rotations dans les accrochages.
Beat Streuli « Sydney 02-60/01 « , 2002 – Tirage couleur (2002), éd. 1/3 151 x 201 cm
©Beat Streuli – Crédit photo : André Morin – Collection Neuflize Vie
[pullquote type= »2″] »Nous pouvons certainement nous permettre plus de libertés qu’une collection publique, mais nous ne fonctionnons pas pour autant sur le mode très personnel du coup de cœur qui caractérise plutôt les collections privées » Claire-Odile Bodin[/pullquote]
Quelle est la première œuvre que vous avez intégrée dans votre collection ?
C-O.B : L’un des premiers achats emblématiques est une série de photographies de Jan Dibbets, « Ten windows ». C’est une œuvre qui a été longtemps exposée à l’accueil, à notre siège parisien. C’est une œuvre symboliquement importante du fait de la nationalité de l’auteur, qui est néerlandais, et de notre maison mère ABN Amro aux Pays-Bas. Car la volonté de constituer une collection se fait aussi dans une filiation : ABN Amro possède une collection importante qui n’est cependant pas limitée à la photographie, et plutôt centrée sur les artistes néerlandais. Et dans le groupe ABN Amro, il y avait aussi une collection de photographies très importante puisqu’il s’agissait de la collection de la banque Lasalle à Chicago, qui depuis, a quitté le groupe ABN Amro pour rejoindre Bank of America. C’était vraiment une collection pionnière aux Etats-Unis. La collection Neuflize Vie s’insérait dans cette tradition.
Comment choisit-on les œuvres d’une collection ? Les notions de paris et de coup de cœur entrent-elles en ligne de compte ?
C-O.B : Nous pouvons certainement nous permettre plus de libertés qu’une collection publique. Mais nous ne fonctionnons pas pour autant sur le mode très personnel du coup de cœur qui caractérise plutôt les collections privées. Depuis les débuts de la collection, les achats sont réalisés par un comité d’acquisition qui regroupe des personnes d’horizons différents. Chaque membre apporte une vision complémentaire à celles des autres. Il y a toujours la recherche d’un consensus autour de l’achat des œuvres. Les achats s’inscrivent dans la ligne définie et suivie par le comité ou bien dans le cadre d’une autre action qui est le Prix du personnel.
À quel critère doit répondre une œuvre qui entre dans la collection Neuflize Vie ?
C-O.B : L’identité de la collection est fortement marquée par les thèmes qui la structurent : ce sont le portrait et la mémoire. Le premier thème choisi, le portrait, entrait en résonance avec le cœur de métier de banquier privé : entretenir une relation humaine privilégiée avec son client. A mi-parcours de la vie de la collection, en 2004, a été choisi un second thème, celui de la mémoire, qui venait élargir le champ d’exploration de la collection. Tous les achats sont guidés par ces thématiques. En parallèle, les membres du comité d’acquisition se donnent chaque année des lignes directrices complémentaires. Par exemple, il y a quelques années, ils avaient choisi de s’intéresser plus particulièrement à la scène asiatique car ils considéraient qu’elle n’était pas assez représentée dans la collection. Les choix peuvent également être liés à des évènements particuliers sur la scène photographique. Par exemple, à l’époque où Paris Photo mettait en avant à chaque édition une zone géographique, les achats réalisés pendant la foire y étaient généralement liés.
V.C : Un des critères de sélection est aussi de choisir des œuvres de photographes vivants, cela répond à un objectif de soutien aux artistes.
Votre collection s’inscrit-elle dans l’histoire de la photographie ?
V.C : La collection est le reflet de la tendance de l’époque qu’elle traverse.
C-O.B : Nous avons une certaine liberté chronologique. Il y a dans la collection des pièces historiques qui ancrent la collection dans l’histoire de la photographie, comme des tirages de Claude Cahun ou de Gisèle Freund par exemple. Mais la majorité des œuvres sont contemporaines. La collection raconte une histoire du portrait en photographie mais elle ne se veut pas exhaustive. Elle serait plutôt un regard particulier sur cette histoire.
Siège de la banque de Neuflize OBC, Paris
Jean-Baptiste Huynh « Huyen I », 1997, « Huyen II », 1998, « Huyen III », 1999
Épreuves de collection aux sels de chlorobromure d’argent contrecollées sur aluminium, éd. 1/7 132 x 132 cm
© Jean-Baptiste Huynh – Crédit photo : André Morin
Aujourd’hui, à quoi ressemble la collection Neuflize Vie, quelles en sont les grosses pièces ?
C-O.B : Parmi les pièces importantes de la collection, on peut citer les œuvres de Sophie Calle, Annette Messager, Philip Lorca diCorcia ou encore Nan Goldin. Plus récemment nous avons fait l’acquisition d’œuvres de Paul Graham ou de Lynne Cohen.
Est-ce que vous suivez certains artistes sur l’évolution de leur travail ?
C-O.B : Oui, certains artistes ont été accompagnés à la fois à travers la collection, mais aussi par le mécénat de Neuflize Vie, notamment Bernard Plossu et également Jean-Baptiste Huynh.
Comment ça se passe avec ces artistes ?
V.C : Dans le cas de Bernard Plossu, la filiale Neuflize Vie utilise ses images pour tous ses éléments de communication et ce, depuis le début. Donc c’est vraiment une fidélité de très longue durée, un accompagnement. Pour Jean Baptiste Huynh c’est un peu différent. Ça a été un coup de cœur au début et nous avons suivi une de ses œuvres qu’il a réalisé sur du long terme.
C-O.B : Il s’agit de la série de portraits d’Huyen que Jean-Baptiste Huynh a débuté en 1997 lors d’un de ses premiers voyages au Vietnam. Chaque année, il réalise un nouveau portrait de la jeune femme. Nous avons fait l’acquisition de plusieurs de ces portraits à la fin des années 1990 et depuis, nous complétons au fur et à mesure la série, même si on ne la détient pas dans son ensemble.
Lynne Cohen « Untitled (red door) « , 2007 – C-print contrecollé sur dibond (2010), éd. 1/1 190 x 250 cm
© Lynne Cohen – Crédit photo : L. Cohen – Collection Neuflize Vie
Quel est le rôle de cette collection ?
V.C : Pour l’entreprise, elle a à la fois un rôle interne et un rôle externe. En interne, elle a un rôle fédérateur. Cela a pris du temps mais aujourd’hui, le personnel est fier de sa collection. Claire-Odile a de plus en plus de demandes de personnes qui veulent absolument une photo dans leur bureau. Pour faire adhérer le personnel à cette collection, on a créé le Prix du personnel. Chaque année, le personnel vient voter pour un artiste qui va rentrer dans la collection. On présente environ 7 artistes. Et celui qui a le plus de vote obtient la dotation. Petit à petit, cela devient vraiment leur collection. Parallèlement, on a une approche pédagogique en organisant des visites pour les collaborateurs, des conférences avec les artistes qui ont gagné le Prix du personnel ou en développant des outils qui les aident à comprendre la collection.
Cette collection a aussi un rôle vis-à-vis de nos clients. Ils aiment entrer dans cette banque en ayant l’impression d’entrer dans un musée. Certains demandent une visite de la collection. Chaque année, nous demandons la permission à deux ou trois artistes de faire figurer leur photo sur les chéquiers de Neuflize OBC. La collection entre ainsi progressivement chez eux.
Enfin, cette collection nourrit la visibilité de la banque et de sa compagnie d’assurance, Neuflize Vie.
Quelle est la vision que Neuflize OBC apporte avec cette collection ?
C-O.B : Dès le départ, la collection Neuflize Vie s’est orientée vers ce que l’on pourrait appeler la photographie plasticienne, même si ce terme n’est plus vraiment d’usage aujourd’hui. Ce sont des artistes contemporains qui utilisent la photographie. Tous les usages de la photographie n’y sont pas représentés : la photographie de reportage ou de mode par exemple en sont quasiment absentes. Ces dernières années, l’attention se porte de plus en plus sur des artistes qui questionnent le monde contemporain ou le médium photographique en lui-même. Les œuvres de Paul Graham ou de Jordi Colomer vont dans ce sens.
Est-ce qu’il y a des œuvres que vous ne pouvez pas acheter afin de ne pas choquer le personnel ou les clients ?
C-O.B : Il n’y a pas de censure mais il y a des limites que se donne naturellement le comité d’achats. Certaines œuvres trouveraient difficilement leur place sur un lieu de travail.
V.C : Oui, on ne peut pas accrocher des œuvres qui peuvent choquer ou renvoyer à des choses difficiles. Nous avons très vite des réactions si des photos dérangent. Il n’y a pas de censure car une collection ne peut avoir d’âme si elle est trop lisse. Mais des œuvres trop provocantes ou du dérangeantes ne seraient que très peu exposées et utilisées.