Si vous n’avez pas encore d’idées pour vos vacances et que vous n’avez pas beaucoup de temps, ne paniquez pas. Certaines stations de vacances ont pensé à vous et vous offre l’opportunité de vous évader dans des lieux où tout est organisé… en huis clos ! Les photographes Reiner Riedler et Martin Parr rendent compte pour vous de ces destinations artificielles.
► ► ► Cet article fait partie du dossier Le tourisme comme vous ne l’imaginez pas
Skier à Dubaï, visiter les ruines mayas en Floride ou se baigner dans une eau tropicale à Berlin : des mirages ? Plus maintenant. De telles escapades sont désormais possibles grâce à la création de lieux de vacances artificiels, 100% manufacturés. Plus besoin de s’aventurer loin de chez soi pour faire un break, la plage est désormais en face de la piste de ski. On est conscient que ces endroits sont faux, et pourtant tous, clients comme entreprises, veulent croire que ces lieux sont réels.
Les photographes Reiner Riedler, John Hinde et Martin Parr ont travaillé sur ces destinations en huis clos où l’on peut s’évader du quotidien. Ciel factice, eau factice… Plaisir factice ? Les promoteurs assurent que non. Certes le décor est artificiel, mais les sentiments des gens sont toujours bien réels… Et les utiliser pour créer des mondes-marchandises constitue une bonne source de profit.
Que la création de ces lieux parte d’une bonne intention (donner à tous la chance de partir en vacances, même aux petits revenus) ou d’une intention purement commerciale (faire du chiffre) ou d’un peu des deux, peu importe. Ce qui compte, c’est de documenter ces lieux et de tirer les fils des sentiments et sensations que leur découverte procure. Car « notre sincère désir est votre plaisir ».
Partez loin près de chez vous !
De la piscine devant le Kremlin en Turquie aux clubs échangistes et fétichistes, le photographe autrichien Reiner Riedler s’est s’infiltré dans ces univers factices proposant des divertissements en tous genres.
Intitulé « Fake Holidays » et « Pleasure Gardens », ce projet en deux parties s’intéresse avant tout au caractère émotionnel de ces lieux de vacances. Récemment, Reiner Riedler confiait au magazine Wired: « Après le travail, les gens allaient sur ces plages artificielles et appréciaient le sentiment d’être en vacances. Je me demandais pourquoi les gens étaient si facilement manipulés, comme si le sable, des boissons, de la musique et un baquet d’eau étaient les ingrédients du bonheur. ».
Le photographe est parti de son Autriche natale pour étendre ensuite son terrain de recherche à l’Allemagne, la Russie, la Turquie, le Japon, les Etats-Unis, les Emirats arabes unis et bien d’autres encore. Ces destinations factices se développent partout.
© Reiner Riedler – Les îles tropicales dans les environs de Berlin.
© Reiner Riedler – Le parc d’attraction chrétien Holy Land Experience à Orlando en Floride.
© Reiner Riedler – Les répliques du mont Rushmore et du Capitole en Chine.
© Reiner Riedler – Un dîner à côté des ruines mayas en Floride.
© Reiner Riedler – Le club de swing Frivoli à Vienne.
En apparence, ces destinations offrent tout le plaisir des vacances, les désagréments en moins : la chaleur sans le paludisme, les rivières sans les crocodiles, le soleil sans crème solaire. Entre artifice et réalisme exacerbé, ces lieux aseptisés sont bien souvent kitsch à l’excès.
A travers ce projet, Reiner Riedler questionne les dérives des sociétés de consommation qui tendent à nous isoler de plus en plus du monde réel au profit d’un monde clos et sur mesure.
Butlins holiday camp : le club de vacances d’où vous ne sortirez jamais
C’est cette exubérance que le photographe britannique Martin Parr a voulu montré en réunissant en un livre les cartes postales des camps de vacances Butlin. Couleurs vives, saturées et parfois même criardes : le style de ces cartes est fidèle à l’atmosphère du lieu. Ces clichés, réalisés par l’anglais John Hinde, photographe pionnier de la couleur du début XXe et détenteur d’une société de cartes postales, étaient à l’origine destinés aux vacanciers afin d’avoir des souvenirs de ces moments festifs.
Voici l’histoire : nous sommes en 1936 à Barry Island (pays de Galles). Les personnes aux revenus les plus faibles n’ont pas les moyens de partir en vacances et la météo du pays est capricieuse. En réaction à cette situation, l’entrepreneur Billy Butlin imagine des camps de vacances où le plaisir et la détente des vacances seraient accessibles à tous. De ce projet naissent les Butlins holiday camp, dont l’activité commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec la mise en place des congés payés et le contexte d’après-guerre.
Le mot d’ordre de ces clubs de vacances, issu du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, est le suivant : « Notre sincère désir est votre plaisir. »
© John Hinde Ltd/ Chris Boot Ltd
A l’époque, les services et divertissements proposés apparaissaient particulièrement luxueux : on pouvait se baigner dans de l’eau chaude et l’alimentation n’était pas rationnée.
© John Hinde Ltd/ Chris Boot Ltd
Le principe est le même que pour un parc d’attraction : on paie son billet d’entrée et, une fois à l’intérieur, on peut profiter des divers loisirs proposés. Piscine, salle de boxe, salle de danse en tout genre, parcs, cafés viennois, français, des caraïbes, et bien d’autres encore, c’est au choix !
© John Hinde Ltd/ Chris Boot Ltd
Ces camps semblaient donc être une véritable « révolution sociale ».
© John Hinde Ltd/ Chris Boot Ltd
Les divertissements proposés étaient parfois étranges et loufoques. Concours en tous genres (de grimaces), animations saugrenues, etc. Quand on regarde ces images, on ne peut s’empêcher d’éprouver un certain malaise. Les sourires semblent prendre une forme inquiétante et les rires sonner faux.
© John Hinde Ltd/ Chris Boot Ltd
Particulièrement à la mode dans les années 1960, ces structures (on en dénombrait 9 en 1972) perdent de leur charme dans les années 1970 avec l’arrivée de la concurrence espagnol et portugaise. En tout, 10 millions de personnes auront fait de ces camps leur destination de vacances.
© John Hinde Ltd/ Chris Boot Ltd
Les clubs de vacances Butlin et les destinations de vacances artificielles de Reiner Riedler sont finalement, comme toute marchandise, des mondes idéalisés et factices et par là-même inquiétants. De ces photographies transparaît l’angoisse de l’hyper-réalisme d’univers monnayables voulant se suffire à eux-mêmes. La recherche immédiate du plaisir semble finalement se faire au détriment de l’authenticité. On ne sait pas vraiment si on a vécu quelque chose, on se demande si nos souvenirs même sont bien réels. Que racontera-t-on à nos proches en rentrant de nos vacances en Chine au pied du mont Rushmore et du Capitole ?
Photo de Une : ©John Hinde