D’origine amérindienne de la tribu des Shawnee de l’Est par sa mère, Amy June Breesman a grandi à Washington, aux Etats-Unis, dans un environnement urbain et occidental. Quand un jour sa tante lui dit qu’elle n’a de sa tribu que la couleur de peau, Amy est bouleversée : que connait-elle vraiment de sa propre histoire et de ses origines ?
| Interview réalisée par Xavier Gautruche, en anglais et par mail. Toutes les photographies © Amy June Breesman
« C’est sur la route du retour que ma tante m’a dit que j’étais comme une pomme : « rouge à l’extérieur, et blanche à l’intérieur ». Elle critiquait ma méconnaissance des traditions et de mes responsabilités vis-à-vis de ma tribu. »
– Amy June Breesman
Quelle histoire marque sa naissance ? Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui que d’être amérindien ? Autant de questions auxquelles Amy June ne trouve aucune réponse. Débute alors pour elle une longue recherche portée par une obsession nouvelle à interviewer et photographier les membres de sa tribu d’origine dans l’État d’Oklahoma. Le projet photographique « Apple », c’est la réponse personnelle d’une jeune fille d’une vingtaine d’années à la responsabilité qu’elle se voit attribuer de faire communiquer la culture amérindienne et son éducation américaine.
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Bonjour Amy June. Pour commencer, j’aimerais que tu m’en dises un peu plus sur toi. Qu’est-ce qui t’as amené à la photo, et qu’est-ce que signifie ce mode d’expression pour toi ?
Quand on fait sa scolarité aux États-Unis, on a souvent une activité extra-scolaire, ou alors on est dans l’équipe de sport. Ce n’était pas le cas pour moi… Et j’étais même nulle en Maths ! Heureusement, une fois au lycée, j’ai commencé la photo. Là-bas, j’ai eu la chance d’avoir un super prof et de pouvoir accéder à un labo noir et blanc.
En dehors des cours, je photographiais n’importe quelle chose anodine qui se trouvait sur ma route, avec du film 35mm. À ce moment de ma vie, la photo ne se limitait alors qu’à ça. Et puis c’était encore une époque ou les films étaient moins chers. Le papier et les produits chimiques étaient aussi plus faciles à trouver. J’ai développé une véritable obsession pour la technique photo. C’était tellement enthousiasmant de monter mon propre film, de tester les lumières ou de développer mes images. J’y passais des heures et des heures.
Du coup, quand j’ai eu a faire le choix de mes études de premier cycle, je ne me voyais que produire des images. J’ai pu aller au Corcoran College of Art and Design de Washington DC, pas loin de là où j’avais grandi pour y étudier la photo plasticienne, tout en gardant ma lubie du développement et de la chambre noire. Je n’ai probablement jamais été aussi heureuse que quand je pouvais faire des tests de différentes formules ou quand je jouais avec toutes sortes de vieux boîtiers ou de films.
Quelles influences – photos ou autres – furent importantes dans le développement de ton travail photographique ?
Ce serait trop long de faire une liste de tous les photographes qui m’ont influencé… Mais j’ai passé beaucoup de temps à regarder des images d’Ansel Adams, Emmet Gowin, Diane Arbus, Robert Adams et Sally Mann. Tous sont des poids-lourds de la photographie, mais avec des styles très différents. Le seul point commun que je leur trouve est un sens extraordinaire de la tonalité. Je n’apprécierai jamais quelque chose plus intensément que le jeu des cristaux d’argent sur un négatif. Cette manière qu’a le film de recevoir et de comprendre la lumière est peut-être la chose la plus incroyable à laquelle j’ai eu la chance de prendre part, mais aussi d’observer et de comprendre.
Dans ton projet « Apple » , tu parles de la relation que tu entretiens avec tes origines. Qu’est-ce qui t’a poussée à travailler sur ce sujet ?
Quand j’étais en deuxième année au Corcoran College, j’ai fait un voyage au Mexique. J’y ai lu Le Labyrinthe de la solitude, un recueil de nouvelles d’Octavio Paz, un poète et essayiste mexicain. Cette lecture m’a ouvert les yeux sur les concepts de « lieu d’origine » et d’ « identité », et sur les séquelles laissées par le colonialisme au sein des communautés indigènes. À cette période, je suivais des cours de Muriel Hasbun à la fac de Corcoran. C’est une artiste spécialisée dans les questions d’identités culturelles et de la mémoire. Ses origines du Salvador ont donné lieu à de nombreuses discussions autour de ces sujets durant les deux ans où j’ai étudié avec elle. Je dois beaucoup de mes projets à son enseignement.
Comment est-ce qu’ « Apple » a démarré ? Tu as rencontré des difficultés ?
J’ai commencé « Apple » pendant mes premières années à l’université. Je n’avais alors jamais rendu visite aux membres de ma famille, situés en Oklahoma et au Missouri. J’ai proposé à ma tante Nancy, proche d’eux, de m’y conduire en voiture et d’aller à un pow-wow (nom donné aux rassemblements de population nord-amérindienne – NDLR) dans le domaine de ma tribu. Ça nous a pris dix jours pour y aller, y étudier, danser et en revenir. C’est sur la route du retour que ma tante m’a dit que j’étais comme une pomme (Apple en anglais – NDLR) : « rouge à l’extérieur, et blanche à l’intérieur ». Elle critiquait ma méconnaissance des traditions et de mes responsabilités en tant qu’adulte vis-à-vis de ma tribu.
Tu as utilisé plein de formats différents. Est-ce que ça a quelque chose à voir avec le sujet, ou ce n’est qu’une coïncidence ?
Quand je photographie des personnes que je ne connais pas, je préfère toujours avoir un Polaroïd sous la main afin de leur permettre de garder un souvenir. C’est la raison pour laquelle j’avais un « Land Camera » avec moi (Autre nom pour les appareils Polaroïd venant de celui de son créateur : Edwin Herbert Land – NDLR). Mais j’ai fini par tellement aimer le noir et blanc des pellicules Fuji FP3000B que j’ai passé presque tout mon temps à shooter avec. Aussi, j’ai toujours mon Hasselblad et mon Speed Graphic quand je prend des photos. Le Hasselblad est un boitier plus accessible et moins effrayant pour les personnes que je photographie : je peux cadrer et prendre une image plus rapidement sans avoir à demander à la personne de poser, ce qui n’est pas forcément possible avec le Speed Graphic.
Pour en revenir à mon côté obsessionnel en ce qui concerne le processus photographique, je pense que je prends plus soin des photographies que je produis avec des boîtiers plus complexes et des pellicules plus chères… Dommage pour mon portefeuille…
Et en ce qui te concerne, considères-tu ta série comme terminée ou travailles-tu encore dessus ?
« Apple » est vraiment une série en cours : je ne m’arrête jamais de lire, de faire des recherches et d’aller toujours plus loin dans ce projet. J’espère que je pourrais bientôt retourner en Oklahoma pour continuer de photographier ma famille et les Shawnee de l’Est (une des trois tribus Shawnee reconnues – NDLR).
Tu as un autre projet en préparation ?
Pas vraiment. En dehors de quelques petits projets par-ci par-là, comme des photos de groupes de musique ou des pochettes d’album, je ne travaille sur presque rien d’autre. J’ai commencé depuis peu à travailler le bois à temps plein, ce qui canalise une grande partie de mon énergie créative. Mais j’espère pouvoir reprendre ce projet au printemps ou cet été et me remettre à photographier sérieusement.
Merci, et bonne continuation pour la suite de ce projet.
Pour aller plus loin :
– Amy June Breesman est née en 1991 à Washington aux Etats-Unis. Elle vit aujourd’hui à Philadelphie.
– Vous pouvez visionner plus de photographies et suivre le développement de sa série « Apple » sur son site Internet.
– Pour en savoir plus sur la tribu des Indiens Shawnee de l’Est d’Oklahoma (the Eastern Shawnee Tribe of Oklahoma, en anglais), vous pouvez consulter leur site Internet et leur Constitution.
– Le livre Le Labyrinthe de la solitude de l’homme de Lettres mexicain Octavio Paz, paru en 1950, consiste en un recueil de huit chapitres présentant et interrogeant les notions de « peuple » et de « nation » au Mexique.
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