À Beauvais, du 14 septembre au 10 novembre, 39 expositions et 62 photographes célèbrent les 10 ans des Photaumnales. Coup de cœur pour la série d’Arno Brignon, Joséphine, qui évoque le regard d’un jeune père sur les transformations de son quotidien amenées par la présence d’une enfant. Le texte de cette série a été écrit par Dominique Roux, artiste plasticien et responsable du Centre de documentation photographique de la Galerie du Château d’eau à Toulouse.
« Menteuse par omission la photo de famille n’est conviée que pour ces bons moments qu’elle transforme en bons souvenirs » écrivait le regretté Pierre Bourdieu à propos de cette pratique photographique ô combien formatée consistant à tenir le journal, l’album de l’enfant dès son irruption de « l’origine du monde ». Dans cet univers là, fait d’évidences, tranquille comme un long feuve, pas d’autre mise en pages possibles que celle de ces émouvants clichés sur lesquels père et mère regardent avec tendresse leur progéniture qui gazouille et sourit à l’objectif.
Et c’est tout l’intérêt, du travail d’Arno Brignon , ce nouveau père mais déjà photographe affirmé que de s’interroger sur la possibilité de faire oeuvre avec ce moment , si fort, mais si banal au fond, de son existence de papa, de photographe, de papa-photographe..
Car comme artiste il sait très bien qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. Qu’on ne fait pas plus de bonne photographie sans maintenir ses émotions à bonne distance focale.
Et c’est donc , non pas sur le mode (fèrement) afrmatif de sa paternité qu’il nous livre ces images, mais sur celui , plus interrogatif, de sa place dans cette étrange histoire d’amour à deux qui, d’un seul coup d’un seul, s’est transformée en figure triangulaire : celle de sa femme, devenue maman, qui porte, joue, baigne, danse , nourrit, couche (avec) l’enfant (et lui tourne le dos, à lui, son homme), d’une petite fille, Joséphine, qui regarde sans vraiment voir, se pose là (sans poser encore), et lui la tierce personne qui derrière le masque de son appareil a du mal à trouver sa place, à faire le point sur l’objet de son désir..
L’art d’Arno Brignon c’est de réussir à traduire photographiquement cette question de la place du père, beaucoup plus complexe, plus ambiguë qu’il n’y parait ! C’est pourquoi le fou ici, qu’il soit de mise au point, de bougé, ou de matière, n‘a rien d’un effet esthétique gratuit. Il dit fortement ce trouble qui s’empare du géniteur quand il se trouve confronté à la présence, au regard de ce qu’il a participé à mettre au monde. Les décadrages, les basculements de champ, les regards qui coulissent de Joséphine, aux présences et objets qui l’entourent, du centre vers la périphérie, du dehors vers le dedans disent bien cette forme d’inquiétude du père et que le photographe traduit en une sorte d’errance visuelle. Quant aux couleurs de cet album , nous sommes très loin des doux pastels qui du bleu au rose nous bercent d’illusions. Ici violentes sont les oppositions du vert au jaune, de l’orange au mauve, et de ces rouges qui font tâches jusque dans l’eau du bain…
Non le monde d’Arno Brignon n’est pas tranquille, il a cette inquiétante étrangeté chère à André Breton mais il est beau comme la rencontre fortuite sur une table à langer de deux regards qui se cherchent , deux êtres qui s’en-visagent à tâtons et que le temps finira par révéler.